Le bébé babille doucement, suspendu aux lèvres de ses parents qui lui lisent à deux voix l’histoire de Mika le petit chat. Tout en contemplant les images colorées et le texte écrit en gros caractères, il laisse courir ses petits doigts sur la matière duveteuse qui imite le poil soyeux du chaton.
Ce petit miracle multisensoriel, il le doit à l’initiative de l’association des « Orthophonistes de la Région Havraise » (ORH) qui, quelques mois auparavant, est allée à la maternité à la rencontre de ses jeunes parents pour les sensibiliser à l’importance de la communication et au développement du langage, au plus tôt, chez leur enfant.
Depuis longtemps la communauté des orthophonistes a démontré qu’une bonne maîtrise du langage oral contribue sensiblement à la qualité de l’expression écrite, et qu’un « bien parler » cultivé précocement amène de très beaux résultats au long terme dans la prévention de l’illettrisme. De leur côté, les neuroscientifiques ont très tôt (déjà en 1972 aux Etats-Unis, l’étude Abecedarian analysait l’impact de la parole sur les enfants) prouvé que dès la naissance le cerveau du bébé est structuré pour analyser les sons, saisir les sons et distinguer les mots de sa langue. Ainsi, à un an, l’enfant est en mesure d’en comprendre plusieurs dizaines alors même qu’il ne parle pas encore.
De ces différents constats est né le projet « un bébé, un livre » conduit au sein des maternités partout en France, qui vise à accompagner les parents dans le développement du langage de l’enfant, notamment en leur présentant des âges clés d’acquisition.
L’association ORH, constituée d’une équipe d’orthophonistes de la région havraise, est aujourd’hui pleinement investie dans ce projet. Une fois par an, le 3ème jeudi de novembre, elle se rend ainsi pendant une demi-journée dans la maternité du GHH et de l’HPE pour y retrouver de jeunes parents. Les échanges ont pour but de les sensibiliser à ces sujets du langage et à l’importance des interactions avec l’enfant, dès son plus jeune âge. En plus des discussions, les orthophonistes vont distribuer des flyers qui détaillent leur intervention et contiennent des conseils, mais également remettre des livres de différents types, adaptés (nature de l’histoire, taille et forme des caractères, dessins), sensoriels voire même dotés d’une marionnette.
L’association s’emploie en particulier à expliquer aux jeunes parents l’importance de la lecture faite au bébé qui, même s’il n’est pas encore capable de comprendre le sens d’une histoire racontée, va toutefois concentrer son attention sur la voix et ainsi se familiariser avec les sons. Ce procédé permet également de favoriser une littératie précoce, c’est-à-dire de confronter l’enfant à des symboles écrits dès le plus jeune âge. Le format des livres, sensoriellement intéressants (doux, bruyant), permettent enfin à l’enfant d’associer le plaisir de la lecture à une intégration sensorielle plus globale.
Dans le cadre de cette action de prévention, ORH s’est aussi pleinement saisie de la question des écrans (télévision, tablette, téléphone), dont l’impact néfaste est régulièrement observé en cabinet par l’ensemble de la profession. L’association alerte les parents sur les risques multiples d’une surconsommation télévisuelle dès l’enfance, qui perturbe l’acquisition du langage, altère fortement la qualité du sommeil, provoque des troubles du comportement général, génère des difficultés à se concentrer et à fixer son attention, et plus globalement freine le développement sensoriel et moteur. Les orthophonistes apportent ainsi concrètement des préconisations en termes d’utilisation (pas d’écran avant 3 ans, puis 20 à 30 minutes maximum) pour aider les parents à appréhender au mieux cette problématique alors que les écrans font partie de l’environnement dès le plus jeune âge.
ORH va également apporter un éclairage important sur la notion d’âges développementaux, souvent connue mais mal interprétée. En effet, ces âges qui participent à l’évaluation de l’évolution langagière de l’enfant peuvent constituer des repères utiles pour détecter des difficultés d’apprentissage et réaliser leur prise en charge au plus tôt. Mais ils sont aussi parfois considérés, à tort, comme des étapes qui marquent un niveau d’apprentissage devant être strictement atteint. Or, ce n’est pas le cas. Aussi, l’association va en particulier s’efforcer de rassurer les parents au sujet de cet outil, en soulignant le fait qu’un enfant n’ayant pas atteint exactement le développement escompté à une étape définie ne présentait pas pour autant un « retard » ou un trouble dans son développement. Ainsi, les flyers distribués permettent aux parents de suivre l’évolution langagière de leur enfant en s’appuyant sur les étapes clés de développement, tout en les rassurant quant à leur potentiel de communication. Enfin, ils pemettent, grâce à un suivi régulier, de faciliter le dialogue avec la PMI, le médecin traitant ou bien entendu un orthophoniste.
Pour mener ce travail de prévention et de dialogue, ORH bénéficie de l’appui de la librairie « la Galerne » qui, convaincue de la pertinence et des résultats de ce dispositif, offre des ouvrages pour tous. Grâce à leur générosité, les orthophonistes peuvent étendre leur action à l’ensemble d’une fratrie, en remettant un ou plusieurs ouvrages aux différents enfants du foyer. La ville du Havre s’est également associée à cette opération, en lui apportant en particulier une subvention indispensable à l’achat des livres distribués aux nouveaux-nés.
Camille DERUEM, Etudiante en Orthophonie M1
L’association ORH (Orthophonistes de la Région Havraise) a été créée en 2000. Elle permet de réunir les orthophonistes salariées et libérales de façon bimestrielle.
Les rencontres sont très variées : invitation de partenaires médicaux (ergothérapeutes, psychomotriciens, ostéopathes, pédiatres, CPTS…), de partenaires sociaux (Famili’Bulle), de partenaires scolaires (psychologues scolaires, référents MDPH, projet DPL3…), d’éditeurs d’outils de rééducation. Les soirées proposent aussi des réflexions inter orthos autour d’une thématique professionnelle, des partages de formations, un travail avec le département d’orthophonie de Rouen notamment en matière d’accueil des stagiaires (pour ainsi lutter contre la désertification de notre territoire), l’organisation d’événements professionnels (matinée de prévention « un bébé un livre », formation des MG…). Pour une belle convivialité, ORH organise 2 afterworks annuels dans un bar privatisé pour l’occasion.
Ce regroupement permet une amélioration du maillage de soins, des temps de partage riches alors que les orthos sont souvent isolées dans leur pratique, un réseau solide de relais de prise en charge des patients (via un mailing et bientôt un groupe FB)