La dernière décennie du XVIIIème siècle, explorée dans les précédentes chroniques, s’est révélée avec tous les aspects de la société française ; l’évolution politique et sociale de la nation passant de l’Ancien Régime à la République ; les conditions de vie du peuple ; les enjeux sanitaires, la médecine française et son enseignement perturbé plusieurs années,  l’attentisme – la prudence, voire l’indifférence de nos confrères dans cette époque dangereuse et tourmentée par une violence omniprésente que la haine envers le régime avait générée.

1793 : Dès janvier, Louis XVI est exécuté. La France affronte une coalition montée par l’Angleterre. La Convention proclame la Patrie en danger ; on lève une armée de 300 000 hommes, difficilement en raison des réticences dans les régions rurales, obligeant à recruter de façon autoritaire, et expliquant le soulèvement de la Vendée

Septembre 1793 : La loi des suspects instaure un climat de suspicion permanente et autorise tous les excès contre les adversaires supposés de la Liberté et de la République, et contre les factions de la Convention tenue par les Montagnards. Ceux-ci éliminent leurs adversaires lors de procès devenus de simples formalités pour les envoyer à la guillotine. La France fait face à un déficit financier énorme en raison du financement de la guerre d’indépendance des Etats-Unis d’Amérique.

Au sommet de la nation, comme en province, c’est une lutte impitoyable et meurtrière et une véritable guerre civile que décrit admirablement Victor Hugo dans « 93 ».

Dans ce dernier ouvrage, paru en 1874, Victor Hugo rédige un roman historique abondamment documenté où il met en scène tour à tour :

  1. Les clans politiques et sociaux, face à face : les bleus révolutionnaires, les blancs monarchistes
  2. Les ténors de la Révolution, Robespierre, Danton, Marat, lors de pourparlers, hors de l’Assemblée, dans un conciliabule secret, discutant avec fougue et passion de stratégie politique. Victor Hugo les décrit sans ménagement

Face aux difficultés de la République et aux menaces qui se dressent contre elle, les trois hommes désignent dans un débat houleux leur ennemi respectif :

    • Pour Robespierre, l’ennemi est intérieur, la Vendée, dans une véritable guerre civile meurtrière.
    • Pour Danton l’ennemi est aux frontières avec la Prusse et la coalition anglaise
    • Pour Marat, le véritable ennemi, ce sont les Cafés, Clubs et Tripots où se façonnent les idées à l’image de nos médias et réseaux sociaux du XXIème siècle, avec ses leaders d’opinions, influenceurs et maitres à penser du moment.

Tour à tour, Robespierre résume la situation de manière sentencieuse : « Il faut quinze jours pour chasser l’étranger, 1800 ans pour éliminer la monarchie », quand Danton, lui, se vante d’utiliser dénonciations, calomnies, diffamations pour gagner le combat politique.

Au sein de la Convention, longuement décrite par Victor Hugo, ces ténors politiques et bien d’autres orateurs animent des débats bruyants à haut risque pour ceux qui s’opposent où n’approuvent pas la ligne en vogue. Assemblée cosmopolite où furent débattus 11 210 décrets. Véritable foire d’empoigne où les injures, les condamnations oratoires étaient banales : « Assassin ! Conspirateur !  Factieux ! Scélérats ! etc… », qui interdisaient toute sérénité dans les débats.

  1. Victor Hugo décrit enfin 3 personnages entrainés dans la guerre de Vendée : Un vieil aristocrate rêvant de sauver l’ordre ancien, ses valeurs sociales et religieuses traditionnelles – Un prêtre défroqué, implacable homme du peuple et de la justice républicaine – Un jeune noble, neveu du vieil aristocrate et fils spirituel du prêtre qui l’avait éduqué.

Leurs destins se croisent, s’affrontent, par raison ou idéal, les conduisant à remettre en question leurs convictions.

Victor Hugo, infatigable avocat des grandes causes (esclavage, peine de mort), tente dans ce dernier roman, d’apporter une légitimité à la violence dans les luttes politiques et dans les révolutions où ni la concertation, ni le compromis n’existent, et semblent impossible.

Si l’objectif de Victor Hugo est difficile à justifier, au moins tente-t-il d’expliquer la violence des citoyens opprimés. Sur ce point, au fil du temps, une partie de la population française finit par rejeter cette violence aveugle que ni les femmes, ni les médecins et personnes éclairées ne pouvaient plus admettre.

A la fin du XVIIIème siècle, la médecin n’intégrait pas la psychiatrie quasi inexistante à cette période. Celle-ci se limitait à l’internement des fous dans des conditions insalubres et indignes. Ce sont Ph. Pinel (1745/1826), puis J.E.D. Esquirol (1772/1840) qui permirent, à partir de 1783, puis surtout en 1790 (essai d’un service spécial pour les malades mentaux – utilisation du gilet de force remplaçant les chaines), de donner à la médecine psychiatrique un véritable statut.

Ainsi, actuellement, la psychiatrie, avec ses classifications des troubles psychiatriques et des profils psychologiques, nous permet de comprendre ces personnalités qui ont fait l’histoire ;

Au XXIème siècle, dans La Santé psychique de ceux qui ont fait le monde, Patrick Lemoine, psychiatre et docteur en neurosciences, réalise l’étude rétrospective de personnages de l’histoire.

16 personnalités sont ainsi passées au crible, grâce aux biographies, témoignages historiques de leurs contemporains.

Lors de la Révolution Française, Robespierre tient une place autant symbolique, avec l’échafaud, que politique avec sa place dominante jusqu’à son exécution (28/07/1794), avec 106 autres députés, en 8 jours de temps, et au total, 268 Robespierristes condamnés par le tribunal révolutionnaire.

P. Lemoine pose ces questions :

  • L’accès au pouvoir sélectionne-t-il les personnages les plus atypiques, les plus originaux ?
  • De quels troubles, déséquilibre, de quelles failles souffrent ces leaders ?

Pour M. de Robespierre (1758/1794), Victor Hugo le décrit avec précision : Jeune, pâle, grave, avec un tic nerveux agitant une de ses joues. Perçu comme dictateur, instaurant la terreur comme outil répressif avec des milliers de morts, souvent arbitrairement, mais aussi loué pour sa droiture, ses idées nobles (Déclaration des Droits de l’Homme, abolition de l’esclavage et de la peine capitale), porteur de projets idéalistes, personnage incorruptible mais terrifiant, soutenu par le jeune A. L. L. Florette de Saint Just (1767/1794), son complice, triste et mystérieux personnage cruel et froid qui le pousse souvent à des décisions extrêmes.

Quels sont les éléments du dossier de Robespierre et de sa santé psychique ?

  • Il a très peu connu son père ; celui-ci, à la mort de sa femme, abandonne maison et enfants. Robespierre perd sa mère à l’âge de 6 ans. Il devient triste, solitaire. Ces camarades le décrivent méchants et sournois.
  • Son père ayant fait de mauvaises affaires, Robespierre bénéficie d’une modeste bourse et prend l’habitude de peu dépenser.
  • Avocat au tribunal épiscopal, député en 1789, il devient un des leaders de l’Assemblée Constituante. Membre des Jacobins, il en prend la tête
  • 1792, élu à la Convention, il siège avec les Montagnards.
  • 1793, Comité de Salut Publique. Mystique, il décrète l’existence de l’être suprême et l’immortalité de l’âme, mais il instaure la terreur qui assurait son pouvoir et préservait les acquis de la Révolution.
  • Capable d’une vision idéaliste de la société, mais également, terrifiant dans sa manière d’exercer le pouvoir.
  • Avocat au tribunal épiscopal et plus tard farouchement anticlérical
  • Célibataire convaincu, malgré une idylle supposée, il apparait « pisse-froid, solitaire, inhibé, puritain », habité par ses idéaux républicains et le modèle parental de son enfance.

Robespierre, l’incorruptible, ne pouvait céder à l’amour charnel et être corrompu par une femme.

  • Admirateur de Rousseau, Robespierre s’identifiait au philosophe, lui-même paradoxal, en publiant L’Emile (traité de pédagogie) en abandonnant ses enfants à l’assistance publique.
  • L’incorruptible Robespierre est intransigeant, rigide, pour asseoir son autorité au milieu des clans opposés, en faisant voter la loi de Prairial, dite de grande terreur, son arme dissuasive et répressive.

Selon le Dr P. Lemoine, quels sont les traits de personnalité dominants de Robespierre ?

  • Il ne connait pas le doute, caractéristique des chefs qui incarnent le parent idéal fantasmé
  • Robespierre pouvait soutenir des positions opposées ; être contre la peine capitale mais, en même temps, envoyant des milliers de citoyens à l’échafaud
  • Incapacité à douter, intransigeance qui évoquent un personnage paranoïaque, ce qui conduit souvent aux portes du pouvoir. Cette foi inébranlable mène au succès et devient dangereuse pour l’entourage de ces leaders. Dans ses discours et écrits, cette certitude constante tourne au fanatisme, avec attitude manichéenne qui voyait en lui et ses proches, les Bons, et en face les Méchants.
  • C’est donc à cause de « cet idéal de fraternité universelle que Robespierre a tué tant de ses contemporains ».

Au terme de son observation, le diagnostic et la conduite à tenir du Dr Lemoine, sont sans appel :

  1. Personnalité paranoïaque de type idéaliste et procédurière. Utopie avec conscience d’une mission de sauvetage du monde. Justice, égalité, fraternité qu’il faut imposer à tout prix. Vision binaire du monde : Blanc/Noir – Bon/Méchant – Révolutionnaire/ Contre-Révolutionnaire.
  2. Si le psychiatre avait dû prescrire, il y aurait eu un internement à la demande d’un représentant de l’état et un traitement anti-psychotique

Grâce à la description romanesque de Victor Hugo sur ces évènements historiques, les enjeux politiques de la Révolution,  et grâce à la contribution de l’analyse psychiatrique du Dr Lemoine, la question de l’équilibre mental des leaders et de ces personnages est essentielle lorsqu’il s’agit de leur confier le pouvoir. Il en va de même concernant la direction de sociétés dont dépendent nos conditions de vie quotidienne.

Ces leaders (hommes, rarement des femmes) sont ils à l’abri de troubles psychiques ? Exposés à des déséquilibres ?

Autre façon de voir le problème, c’est considérer que des failles, des blessures psychologiques dans leur jeunesse, les ont conduits dans cette lutte pour le pouvoir. Au fil de leur vie, ils ont construit une personnalité propre à réaliser leur ambition. Si on écarte la schizophrénie, incompatible avec le pouvoir, les troubles bipolaires n’interdisent pas l’accès à la tête d’une nation. Le Dr Lemoine s’appuie sur l’étude clinique, psychiatrique, psychanalytique, l’étho-anthropologie. Dans son ouvrage, il pointe, chez ces personnages, faiblesse, force, l’équilibre, ou non, du psychisme fragile ou désordonné, voire dangereux.  Il souligne certaines prédispositions : anorexie, état limite, alcoolisme, addictions, syndrome d’abandon, dépression, stress traumatique, et enfin, pour certains, illuminations jusqu’au délire.

Dans cette galerie de personnages, rappelons certains déjà évoqués :

  • Marat, usurpateur de diplômes, esprit curieux et travailleur, convaincu de faire progresser la science. Révolté par le rejet des véritables scientifiques de l’époque qui ne voyaient dans ses travaux aucun apport réel, il rentra en conflit avec Condorcet, Lavoisier, Laplace, Newton, Volta. Il critiqua Diderot et Voltaire. En 1789, il se lance en politique avec l’Ami du Peuple. Ses armes étaient l’imprécation, la dénonciation. Condamné, il fuit en Angleterre. A son retour, incitation à la haine dans son journal, il participe aux massacres de 1792 qu’il réclamait. Ironie du sort, il est blessé à mort un 14 juillet (1793) par Charlotte Corday, qui lui assène un coup de poignard entre 1er et 2ème côtes droites qui entraine selon le Dr Pelletan une plaie fatale du tronc carotidien, plutôt qu’une plaie du cœur. Marat avait la manie de la persécution et se déclarait amoureux de la gloire dès sa jeunesse.
  • Les Drs Coffinhal-Dubail, féroce révolutionnaire – Baudot, un des plus cruels parmi les médecins de la Révolution conseillant assassinats et pillages partout où il sévissait – Bô, condamnant, à Troyes, des suspects dont un de ses confrères (voir Stétho oct 2023)
  • Dans un autre registre, citons le Dr Souberbielle (1754/1846), intriguant patenté, adversaire de Danton, ami proche de Robespierre, il soigne Marie-Antoinette, mais la condamne, il n’intervient pas pour sauver des femmes enceintes qu’il examinait à la prison de la conciergerie. Il sollicite sans cesse les honneurs, dont la Légion d’Honneur, qui lui sont refusés, et, en 1830, « retourne sa veste » (comme J. Dutronc le chante si ironiquement), en souhaitant longue vie à Louis Philippe.

Ce cycle de chroniques avec les conséquences de la Révolution sur le peuple français, le bilan humain et les conséquences sur la médecine française s’achève ainsi.

Victor Hugo et l’analyse psychiatrique de ces personnalités qui ont fait l’histoire de France nous éclairent sur cette période, sujette aux débats et aux controverses, et, comme on peut le déplorer plus près de nous au XX et XXIème siècle, d’autres personnalités, assoiffées d’honneur et de pouvoir, parfois jusqu’à la dictature, continuent de sévir sur tous les continents.

Dr Michel LEBRETON


Bibliographie

  • Quatre-vingt-treize -1874 – Victor Hugo – Ed Les grands textes du XIXème siècle
  • La santé psychique de ceux qui ont fait le monde – Patrick Lemoine – Ed Odile Jacob Psychologie
  • Ces psychopathes qui nous gouvernent – Jean-Luc Hees -Ed Plon

 

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