Dans le dernier numéro, nous avons vu et commenté grâce au Bulletin Epidémiologique du Dr Adolf Aimé LECADRE (Nantes 1803 – Le Havre 1883, épidémiologiste, correspondant de l’Académie de Médecine, créateur de la Société Protectrice de l’Enfance) les diagnostics en pathologies médicales et chirurgicales du registre des décès au havre au XIXème siècle (1876).

Avec ce travail, nous pouvons oser une extrapolation sur les diagnostics et les démarches essentiellement cliniques qui pouvaient être faits aux siècles précédents, faute de confirmation ou de rectification par les examens complémentaires dont nous profitons maintenant.

Face à la maladie, quelles réponses pouvait-on apporter à la population ?

il est évident que nous ne disposons d’aucune information précise dans ce domaine, et pour confirmer cette absence de document, on peut lire dans l’ouvrage EX NIHILO Naissance du Havre de Grâce (par Sébastien JEHAN & David MALANDAIN) … « aucune donnée historique ne recense le nombre de morts, blessés ou estropiés sur ce chantier titanesque… » (conditions et description du travail de fondation du port).

Alors, au XVIème et avant ?

Les pathologies sont alors souvent dominées par les épidémies et fléaux qui sévissaient épisodiquement. Ainsi, au fil des siècles, ce sont succédés :

LÈPRE, PESTE, SYPHILIS, TYPHUS, VARIOLE, et plus tard TUBERCULOSE, GRIPPE et maintenant SIDA, Fièvres hémorragiques, fièvres de Marburg, EBOLA…

Redoutées depuis l’antiquité, ces épidémies ont toujours été la hantise des populations, des autorités, du corps sanitaire et des soignants en première ligne dans la lutte. Longtemps considérées comme une sanction divine puisque les hommes de « sciences » ne pouvaient ni les expliquer, ni les combattre, les pouvoirs en place n’avaient d’autre issue que cette explication divine irrationnelle.

Le Havre, l’Estuaire, lieux de passage pour les marins et les hommes venus d’ailleurs, n’échapperont pas à ces épidémies.

Depuis 1517, épidémies au Havre
  • 1517 : MALARIA (Chez les ouvriers au travail sur les chantiers du port et de la ville construite en milieu marécageux)
  • 1560/1563 : PESTE (surtout en 1563, frappant l’armée d’occupation anglaise)
  • 1594/1595 : PESTE
  • 1625 : PESTE
  • 1637/1639 : PESTE
  • FIN 1671 : VARIOLE (petite vérole)
  • 1690 : Plus de 2000 décès en été, dont 302 enfants (à rapprocher des décès de 1876 par entérite infantile en saison été/automne)
  • 1690 : SCORBUT
  • 1694 : TYPHUS
  • 1785 : ÉPIDÉMIE INFANTILE : Creusement des bassins. Maniement massif de la vase
  • 1793 : TEIGNE : Creusement des bassins. Maniement massif de la vase
  • 1794 : TYPHUS (784 décès)

Nous reviendrons ultérieurement sur ces fléaux frappant le Havre, mais il convient avec un des plus anciens fléaux, la LEPRE, d’évoquer l’existence d’établissements de soins et d’isolement des malades, dans le passé.

Rôle de MONTIVILLIERS

C’est l’occasion de mettre en lumière le rôle de MONTIVILLIERS. (Bibliothèque Armand Salacrou – collection MG MICBERTH. Monographies des villes et villages de France – Histoire de la ville de Montivilliers par Ernest DUMONT, Alphonse MARTIN 1886 – 1ère édition/ 1991)

MONTIVILLIERS : En amont d’HARFLEUR, sur la LEZARDE autrefois petite voie navigable pour bateaux à fond plat assurant le trafic des denrées et des productions artisanales, le site est repéré dès l’ère gallo-romaine. Une chaussée romaine existait entre MONTIVILLIERS et HARFLEUR. Jusqu’au XVIème siècle, MONTIVILLIERS, HARFLEUR et FECAMP se partageaient commerce et administration jusqu’à la concurrence que le HAVRE DE GRACE allait leur faire.

En 682(684), un monastère féminin est fondé par St PHILIBERT. Cette ville autrefois importante compta entre 3000 et 4000 habitants au XVIème et XVIIème siècle, les activités de blanchisserie, boulangerie, brasserie, cidre et bière, minoterie, papeterie, tannerie, tissage du drap, s’ajoutaient aux activités rurales (fermes et prairies) et aux salines.

Au XIVème siècle, on considère la cité comme industrielle et ouverte vers les foires d’autres villes.

Le pouvoir était au main du clergé, de l’OFFICIAL (juge ecclésiastique délégué par l’évêque), des Seigneurs, et sous l’influence des abbesses dont certaines au fil des siècles restent célèbres, comme Louise de l’HOSPITAL (1569 – 1643) qui exerça une tutelle sur l’administration.

LA LÈPRE (maladie de HANSEN (1841-1912) due au mycobacterium leprae ou bacile de Hansen qu’il découvre en 1869, mais dont il ne publie la découverte que 5 ans plus tard de peur de heurter son beau-père, professeur de médecine, farouche adversaire de l’origine bactérienne de la maladie) est encore présente jusqu’à la première moitié du XVIème siècle.

LÈPRE avec ses trois formes cliniques :

  • Lèpre indéterminée avec simple macule
  • Lèpre tuberculoïde avec léprides et signes neurologiques
  • Lèpre lépromateuse et lésions neurologiques, atteintes des muqueuses (ORL ++) et des lésions viscérales et sensorielles

MONTIVILLIERS possédait une MALADRERIE sur la paroisse Sainte Croix. Cette léproserie dite de St GILLES, située sur la route vers HARFLEUR avait été fondée sur ordre royal, et recevait au XVIème les malades lépreux des trois paroisses de MONTIVILLIERS et des paroisses du FONTENAY, d’OCTEVILLE, ROLLEVILLE, HEUQUEVILLE. Cette léproserie comportait deux bâtiments et une chapelle.

Elle fut réunie à l’Hôtel -Dieu de MONTIVILLIERS en 1695.

L’Hôtel-Dieu de MONTIVILLIERS, fondé en 1241, sur le modèle de celui de FECAMP, avait vocation à recevoir PAUVRES, PASSANTS et MALADES pour y être « pausés et traités » par les religieuses de l’abbaye.

Depuis le XIIIème siècle, période de prospérité et de gloire, rois, seigneurs et bourgeois se disputaient la palme de la charité dans une compétition courtoise de l’amour du prochain avec assistance aux malades, pauvres et vieillards.

Cet Hôtel-Dieu disposa d’une chapelle à partir de 1262.

Sur le plan sanitaire, en 1521, on dénombra 22 décès par la peste. Quant aux relations avec LE HAVRE DE GRACE, on peut citer, en 1522, l’accueil d’un enfant trouvé abandonné au Havre qui fut conduit et pris en charge à l’Hôtel-Dieu de MONTIVILLIERS faute de structure lors de la création de la nouvelle cité de l’Estuaire

Plus tard, en 1543, on interdira l’accès des pestiférés à cet Hôtel-Dieu situé au centre de la cité. Au XVIIème siècle, cet établissement comptait jusqu’à 25 et 45 lits

Concernant la LÈPRE, le diagnostic clinique était effectué par médecins, chirurgiens ou apothicaires désignés par une commission.

  • En 1517, c’est un prêtre et médecin Michel CORNET et les chirurgiens Simon et Pierre LAMBERT qui diagnostiquent la lèpre sur Jean FREMONT, prêtre de St Sauveur.
  • En 1525, Pierre LOUVEL, prêtre et médecin et Hector CORMEILLE, chirurgien, assurent les diagnostics de lèpre
  • En 1532, c’est l’apothicaire L’ESCOLIER qui est donc désigné pour le diagnostic
  • En 1536, le médecin Guillaume CARUEL
  • En 1542, le médecin Guillaume AUDOUARD

On pouvait parfois porter des diagnostics erronés ou calomnieux par ignorance ou méchanceté. Ces verdicts pouvaient être corrigés ultérieurement comme ce fut le cas en 1517, avec le chirurgien Nicolas GIEUFFROY et Michel CORNET.

L’accueil de tous les malades n’étaient pas toujours possible, et on cite en 1541 une prise en charge après plusieurs diagnostics convergent des médecins (Guillaume AUDOUARD, Robert PALFRIER, chirurgien, Pierre HOUEL, licencié en médecine et Nicolas GREGES, chirurgien du Havre)

Voilà quels étaient, sur le territoire de l’estuaire, les établissement susceptibles de recevoir les malades, d’assurer un isolement, certes imparfait mais qui annoncent les dispositions ultérieures que les médecins sauront prendre quand notions de contagion et origine bactérienne des maladies auront été acceptées par tous les esprits scientifiques.

Face à ce fléau qui s’était exacerbé au retour des croisés du Proche – Orient et de Syrie, c’est à Blanche de CASTILLE au XIIIème siècle que l’on doit les mesures charitables pour créer les maladreries permettant de mener en communauté une vie normale, mais isolée puisque jusque-là chaque lépreux devait agiter sa crécelle prévenant de sa présence. Fin XIIIème siècle, 2000 léproseries existaient en France.

Le malade ne devait jamais être au vent de ces contemporains sains, et si le lépreux était marié, le conjoint pouvait contracter un second mariage. Le rejet des malades porteurs d’une robe noire marquée d’un « L » (pour Ladre) était inéluctable en raison des lépromes qui les défiguraient.

Voilà la situation sanitaire dont disposait l’Estuaire et qui pouvait constituer un modèle de lutte contre d’autres fléaux que nous présenterons au prochain numéro, en particulier, avec les mesures d’isolement ou confinement comme on l’observe actuellement avec l’épidémie de CORONAVIRUS

Michel LEBRETON

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