Un point d’étape médical pour le Stétho, un point d’étape pas trop morose, vu le temps…
En France c’est le temps des économies, pour le secteur médical comme partout, transition climatique incluse, il va falloir trouver des économies. Dans les tuyaux comme on dit, transports en ambulance à limiter et à partager, arrêts de travail à resserrer, déprescrire avec l’adhésion du patient etc etc et je ne parle bien sûr que du volet médecine générale. Pourtant on n’a pas l’impression qu’on en prescrit de trop, on essaye déjà de limiter… mais qui peut moins, peut sans doute plus. Comment faire passer tout cela en plus du reste à une population qui a l’impression d’avoir déjà le droit à moins de choses qu’avant, de voir les coûts augmenter? Comment inciter à pratiquer du sport et à changer les habitudes de vie quand la demande est pour des médicaments et des soins remboursés ?
On pourra tenter d’expliquer, expliquer les coûts de toutes les prescriptions additionnées, le coût de l’hôpital, la dette suite aux dépenses des années Covid et aux traitements innovants… pas sûr que les patients acceptent ces arguments. On peut aussi arguer que les médicaments ont aussi des effets secondaires et qu’on a de la chance d’être en France… ou dire tout simplement que c’est l’affaire des politiques.
Les patients vont nous redire que nous, les médecins, on peut toujours parler, qu’on va être augmentés, le tarif de la consultation rattrapant un peu l’inflation en décembre, et ce alors que nous n’étions pas les plus à plaindre. Ça… on va l’entendre, et ça ne va surtout pas être le moment de leur dire qu’une visite, même de nuit et en urgence, coûte moins que le déplacement d’un plombier. C’est comme cela, travailler dans la santé c’est noble, pas trop le droit de se plaindre (et les frais doivent par tradition être pris en charge, de préférence par l’état).
Pas la peine d’expliquer la science longuement acquise par le soignant, la responsabilité, ou les charges et tracasseries administratives du médecin, à gérer en plus du dit déplacement de la visite de nuit. L’argent est roi, palpable et mesurable, la santé elle, est inestimable.
Ce qui commence à toucher quand même les patients, par la force des choses, c’est certainement le manque de plus en plus visible de médecins. Malgré des organisations locales au top, avec les multiples tours de garde et le SAS, malgré la mise en place de consultations pour les patients ALD pris en charge à 100% et sans médecin traitant, il est fort à parier que les départs à la retraite de fin d’année, par dessus les épidémies hivernales, vont mettre le système en tension. Pour les spécialistes, cela commence également à poser quelques problèmes aigus. Lors de ma dernière garde, une famille nouvellement arrivée de région parisienne m’a déclaré avoir menacé de procès pour non assistance à personne en danger un service de l’hôpital public du Havre suite à une date de rdv de renouvellement spécialisé trop éloignée. Ils auraient pu s’arranger pourtant avec le spécialiste parisien avant ou même après leur départ, mais malgré mes efforts d’explication et d’apaisement, rien n’a fait changer leur certitude de sur le bien-fondé de leur façon de faire. J’ai eu une pensée pour les collègues concernés et leur prise en charge dans ces conditions.
La majorité des patients n’agit heureusement pas de cette façon et j’ai été touchée lors de la même garde par un Ehpad qui avait trouvé moyen de faire renouveler les prescriptions à distance auprès d’un service de téléconsultation travaillant justement avec des médecins de région parisienne… ce qui diminuait les déplacements du médecin de garde local que j’étais, sauf en cas d’urgence. J’aurais certes préféré que les téléconsultations se fassent avec un médecin traitant local, mais c’était déjà ça pour nous dégrever, en attendant mieux.
Mieux justement, quelles solutions a-t-on trouvées pour avoir mieux au même prix, voire même pour moins cher ? Une quatrième année obligatoire pendant l’internat de médecine générale, une année de « docteur junior » en vue d’une éventuelle installation sur le lieu de stage, dans un cabinet de groupe ayant un bureau et une patientèle disponible. Cela a été voté, premiers stages à la rentrée 2026 a priori, certaines conditions restant à préciser. Le nombre de maîtres de stage a augmenté d’ailleurs au niveau national cette année, signe que les collègues investissent la formation pour attirer justement des jeunes recrues.
Pour ce qui est de la réforme de la première année – Pass/Las de 2020 et celle du concours de l’internat – R2C (il faut suivre) elles ont été pensées pour augmenter, diversifier et adapter au plus près du terrain les postes disponibles. Elles gardent une lisibilité et des effets qui se font un peu attendre malgré une certaine augmentation du nombre d’étudiants formés.
Et en ce qui concerne justement les conditions d’exercice : la difficile délégation des tâches, le travail en pluripro et avec un éventuel assistant médical, la simplification administrative, tous ces vastes chantiers, on n’en dira pas plus. Ou alors seulement que nous avons la chance d’avoir une organisation locale solide qui nous guide pour s’approprier chacun à son rythme ces problématiques complexes de politique de santé et organisationnelles. Beaucoup d’efforts restent à faire car le politique ne cesse de s’immiscer dans le médical, avec des tâches et des exigences légales complexes. L’identification par l’INS des patients et la multiplication des contraintes informatiques pour les résultats bio et radio par exemple, avec l’utilisation des noms de jeune fille, est l’exemple de cette complexité légale imposée sans apport visible, pour moi en tout cas. Le tout doublé de l’envoi papier des biologies, comme preuve d’une impossibilité de renoncer légalement aux redondances, malgré l’enjeu financier et écologique.
N’en jetez plus, car la question reste : est-ce que tout cela va inciter les jeunes à s’installer en libéral et les anciens à rester, parfois au-delà de la retraite, voire même en prenant en charge plus de patients?
L’attrait du salariat et des remplacements pour le début de carrière et même pour après reste présent. Cela dit, je continue malgré tout à affirmer que nous avons de la chance de pratiquer de beaux métiers, que la médecine générale en libéral a un sens dans la société d’aujourd’hui et que les jeunes ont justement peut-être leur mot à dire et leurs façons de faire différentes qui vont permettre de réformer et pérenniser ce métier pour demain.
Dr Julia Casaux