Cet été était l’occasion, comme tous les ans, de se retrouver entre amis, notamment autour du barbecue lorsque notre météo normande nous le permettait. Lors de nos discussions à l’abri de la pluie, j’ai noté que le sujet des prothèses d’épaule intéressait mes amis travaillant dans le domaine médical et paramédical et que la question des indications revenait régulièrement. En effet, même si chaque médecin généraliste, chaque kinésithérapeute, et chaque infirmier a, dans sa patientèle, des patients porteurs d’une prothèse d’épaule, ce type d’arthroplastie est souvent plus rare que celle de la hanche ou du genou et donc moins bien connue. Elles offrent pourtant des résultats très satisfaisants en apportant à la fois une belle antalgie et une fonction très satisfaisante à nos patients. J’ai donc décidé d’évoquer ce sujet dans ce cours article dans l’espoir qu’il intéresse d’autres collègues que mes amis proches.

Plutôt que d’expliquer l’indication de chaque prothèses, nous allons aborder les pathologies qui nous y amènent.

Une des pathologies les plus fréquentes de l’épaule est la rupture de la coiffe des rotateurs. Cette rupture, lorsqu’elle est transfixiante, ne cicatrise malheureusement jamais spontanément et la taille de la lésion augmentera irrémédiablement au fil des années. Lorsque cette rupture déchire les tendons supra-épineux et infra-épineux jusqu’au stade de rupture massive, irréparable, le patient peut présenter un tableau dit « d’épaule pseudo paralytique ». La mobilité active de l’épaule est alors très diminuée alors que la mobilité passive est complète. Cette pathologie n’a pas d’origine neurologique mais est simplement due à la rupture massive de la coiffe des rotateurs.

Figure 1 – rupture de la coiffe des rotateurs

Figure 2 – présentation clinique de l’épaule pseudo paralytique

Cette situation clinique s’explique par le rôle de la coiffe des rotateurs qui est de centrer la tête humérale sur la glène et de débuter les premiers degrés d’élévation du membre supérieur. Le relai est ensuite pris par le deltoïde et les muscles péri-scapulaires. En cas d’incompétence de la coiffe supérieure, le centrage de la tête est impossible et le deltoïde n’est pas en capacité d’assurer l’élévation du membre. C’est dans le but de prévenir cette situation que la réparation chirurgicale sous arthroscopie des ruptures de la coiffe des rotateurs est souvent indiquée. Ce sujet, également vaste et passionnant, n’est cependant pas aujourd’hui l’objet de notre article. Les patients qui présentent des épaules pseudo paralytiques en lien avec cette rupture massive de la coiffe des rotateurs sont souvent peu douloureux et leur plainte principale est le manque de mobilité active de leur épaule. Le traitement doit être initialement médical et centré sur la rééducation dans l’espoir d’obtenir une réanimation de l’élévation antérieure active. En cas d’échec, la réparation chirurgicale de la coiffe est malheureusement impossible et la solution la plus adaptée consiste donc en la mise en place d’une prothèse totale d’épaule INVERSEE. Cette indication fait de cette prothèse totale d’épaule INVERSEE la seule prothèse articulaire pouvant être mise en place sans arthrose ! D’invention française, ce type de prothèse au design particulier permet, en déplaçant le centre de rotation de l’épaule, de donner au deltoïde la capacité d’élévation active du membre sans nécessiter l’action de la coiffe des rotateurs. L’objectif chirurgical est alors d’améliorer la fonction de l’épaule en offrant au patient une élévation antérieure active de 110° en moyenne. Les capacités de rotation de l’épaule dépendront surtout de l’état de l’infra-épineux et du petit rond (rotateurs externes) mais également du subscapulaire (rotateur interne). En cas d’incompétence complète des rotateurs externes, un transfert musculo-tendineux, complémentaire à la prothèse, peut se discuter.

La seconde pathologie concernée par les arthroplasties est évidemment l’arthrose glénohumérale autrement appelée omarthrose. Cliniquement les patients présentent alors une épaule raide et la simple mobilisation glénohumérale est douloureuse. Le traitement initial est comme toujours médical par antalgiques per os et infiltrations intra-articulaires de dérivés cortisonés et/ou d’acide hyaluronique. La rééducation apporte souvent des résultats décevants.

Figure 3 – radiographie de l’épaule de face : pas de pathologie

Figure 3 – radiographie de l’épaule de face : arthrose gléno humérale

Lorsque nos patients souffrent quotidiennement, malgré ce traitement médical, les prothèses d’épaule sont une belle solution pour soulager durablement nos patients mais également améliorer leurs mobilités actives.

Le type d’arthroplastie sera ensuite directement fonction de la qualité de la coiffe des rotateurs. Si la coiffe est saine et compétente, la prothèse totale d’épaule ANATOMIQUE reproduira l’anatomie articulaire tout en éliminant les ostéophytes périarticulaires. En plus de l’indolence, ce type de prothèse offre des amplitudes articulaires très satisfaisantes avec une élévation antérieure active dépassant souvent les 130°. Si la coiffe est lésée et incompétente, la fonction apportée par une prothèse anatomique sera moins bonne et risque de ne pas être pérenne dans le temps. En effet, comme nous l’avons évoqué, toute lésion transfixiante de la coiffe s’agrandira et aboutira à terme au stade d’épaule pseudo paralytique. La prothèse totale d’épaule INVERSEE sera alors la solution la plus adaptée en cas d’arthrose associée à une lésion de la coiffe des rotateurs. En plus d’apporter l’antalgie à nos patients, elle leur offrira une élévation antérieure active de 110° en moyenne.

Puisque la fonction des prothèses anatomiques est souvent meilleure que celle des prothèses inversée, il est préférable, si l’état tendineux périphérique le permet, de privilégier les prothèses anatomiques chez les patients jeunes, à la demande fonctionnelle élevée. Souvent l’âge de 65 ans est évoqué comme limite après laquelle une prothèse inversée peut satisfaire fonctionnellement nos patients.

Figure 4  – Prothèse ANATOMIQUE sans tige

Figure 4  – Prothèse INVERSÉ à tige courte

Enfin, il existe de nombreuses indications pour lesquelles d’autres types de prothèses d’épaule peuvent être discuté. En premier exemple, en traumatologie, les graves fractures de l’extrémité supérieure de l’humérus peuvent bénéficier d’un type de prothèse totale d’épaule inversée spécifique à cette indication. En deuxième exemple, l’hémiarthroplastie d’épaule, qui consiste à ne remplacer que la partie humérale de l’articulation scapulohumérale, peut être proposée aux patients très jeunes présentant déjà des pathologies articulaires très évoluées et très douloureuses pour lesquelles le traitement médical est en bout de course. Ma préférence va alors aux hémiarthroplasties dont le revêtement est en pyrocarbone, matériau novateur dont le module d’élasticité se rapproche de celui de l’os et qui respecterait alors davantage la glène de l’omoplate avec laquelle la prothèse s’articule.

Figure 5 : hémiarthroplastie pyrocarbone à tige courte chez une patiente de 32 ans qui présentait une ostéonécrose de la tête humérale

Sur le plan paraclinique les pathologies pouvant amener à la mise en place d’une prothèse d’épaule bénéficient souvent du bilan systématique de première intention des douleurs d’épaule, à savoir la radiographie de face (3 rotations) et de profil ainsi que l’échographie de la coiffe des rotateurs.

La radiographie objectivera les différentes pathologies radio-opaques comme l’arthrose glénohumérale mais peut également faire suspecter une rupture massive de la coiffe des rotateurs par la diminution de l’espace sous acromial et la rupture du cintre cervico-céphalique.

L’échographie sera évidemment demandée à la recherche d’une lésion de la coiffe des rotateurs.

Si une indication de prothèse d’épaule était envisagée les examens complémentaires du bilan préchirurgical sont souvent le scanner dans le but d’évaluer le stock osseux permettant la mise en place de la prothèse et l’arthroIRM afin de mieux explorer les tissus mous périphériques et notamment la qualité de la coiffe des rotateurs. À noter que le scanner permettra également, aux chirurgiens qui l’utilisent, de modéliser en 3 dimensions l’épaule du patient grâce à un logiciel dédié afin de planifier précisément l’intervention et d’anticiper les éventuelles difficultés. Ces logiciels de planification, parfois couplés à la réalité augmentée peropératoire, font partie de l’avenir de notre chirurgie.

Figure 6 : logiciel de planification préopératoire

En post-opératoire, nos patients seront souvent immobilisés dans un gilet scapulohuméral pour une durée de six semaines environ mais débuteront leur rééducation dès leur sortie d’hospitalisation. L’amélioration clinique est souvent significative au bout de quelques semaines et nos patients sont très souvent satisfaits au bout de 3 mois. Le résultat définitif se constate à 1 an post-opératoire.

En conclusion, l’arthroplastie d’épaule est un sujet vaste qui mériterait un article bien plus long si l’on souhaitait entrer dans ces détails passionnants. Ce type d’arthroplastie a beaucoup évolué ces dernières années et est devenue une chirurgie de routine pour les chirurgiens spécialisés. Elle offre à nos patients une solution pour de nombreuses pathologies et des résultats très satisfaisants tant sur les douleurs que sur les amplitudes articulaires.

Dr Jean-Edern OLLIVIER, Chirurgie de l’Epaule et de la Main – Centre de l’Appareil Locomoteur de l’Estuaire – Hôpital Privé de l’Estuaire – Le Havre

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