Une des plus anciennes maladies humaines connue continue à sévir malgré un traitement de fond efficace et de nombreux progrès réalisés… Pourquoi ? plusieurs messages peuvent être émis.

Quels progrès ?

Ils sont nombreux mais ont peu d’influence sur la pratique …

  • Amélioration des connaissances des transporteurs rénaux et digestifs de l’acide urique à l’origine de la mise au point de nouvelles molécules (non encore disponibles ou déjà arrêtées) ou de l’utilisation des antagonistes du co-récepteur sodium-glucose de type 2 –les glifozines- excellents hypouricémiants par action sur le transporteur rénal Glut9 chez le diabétique goutteux.
  • Meilleure compréhension de la physiopathologie de la crise et de son auto-résolution, de la formation des cristaux.
  • Apport de l’imagerie- échographie avec le signe du double contour – ou du scanner double énergie malheureusement non disponible au Havre qui permet d’identifier et quantifier la charge cristalline.
  • Nouveaux modèles expérimentaux (modèle de la poche à air dorsale permettant de reproduire la crise chez la souris, du KO du gène de l’uricase ou de ceux des transporteurs notamment par la CRISPR/cas 9.

  Mais tout cela est loin de nos préoccupations où finalement seule l’échographie et les glifozines peuvent être utiles en pratique clinique.

 Quels sont les problèmes pratiques non résolus ?
  • 1 – La maladie ne s’arrête pas à la crise

Entre les accès, les cristaux d’urate de sodium s’accumulent : les crises se répètent, la maladie devient chronique : dépôts tophacés squelettique mais aussi en dehors des articulations, les calculs des voies urinaires d’urate compliquent la situation…

Entre les accès, persiste un état inflammatoire chronique, qui en association avec l’hyper-uricémie, les maladies métaboliques associée (obésité, hypertriglycéridémie, syndrome métabolique) et la fréquente HTA, est responsable des complications cardiovasculaires (nécrose myocardique, artérite des MI, AVC), de la progression de l’insuffisance rénale. L’espérance de vie est ainsi largement diminuée.

  • 2 – La maladie voit son incidence augmenter.

La goutte devrait disparaître grâce à l’utilisation des hypo-uricémiants…Ces derniers sont largement non pris soit par défaut de prescription soit par défaut du respect de cette dernière : le problème est uniforme dans les pays développés…L’affection continue à progresser non seulement dans le monde industrialisé mais aussi dans les pays émergents : elle intéresse dorénavant l’Asie du sud-est –épidémie goutteuse chinoise-  et l’Afrique où elle était rarissime.

Les modes alimentaires industrialisés actuels, déséquilibrés, riches en graisse, en fructose…sont responsables de cette augmentation de même que la sédentarité, tous vecteurs de prise de poids.

  • 3 – Un diagnostic rapide et correct

Crise aiguë de l’avant ou médio-pieds, du genou, des doigts notamment chez les malades sous diurétiques, très congestive et douloureuse, liquide articulaire inflammatoire riche en cristaux, antécédent similaire, hyperuricémie connue ou détectée lors de l’accès, comorbidités : le diagnostic est raisonnablement posé dans plus de 90% des cas. Le traitement par colchicine est débuté précocement : 1 cp suivi une à 6 h après d’un demi cp le 1° jour puis 1/2X2 cp/jour jusqu’à résolution de la crise, maintien d’un demi cp si instauration d’un hypouricémiant. Si échec ou intolérance à la colchicine : AINS, corticoïdes (prednisone 35mg/j pendant 2 à 3 jours) ou inhibiteurs de l’IL1béta (Kinéret) en milieu spécialisé.

  • 4 – Traiter l’hyper-uricémie dès la 1ére crise où soit-elle

Comme le conseillent les recommandations actuelles : il ne faut donc plus attendre un 2° accès ou l’atteinte d’une grosse articulation pour le faire. Le traitement hypo-uricémiant doit être commencé de façon rapprochée. …mais quand ? les dispositions françaises militaient pour ne pas l’entreprendre avant 6 semaines à 3 mois jusqu’aux nouvelles recommandations qui restent cependant floues sur la date de son institution par rapport à la crise. Ces conseils thérapeutiques étaient liés à la crainte de voir la crise se prolonger ou se renouveler…or ce risque reste présent lorsque l’hypouricémiant est commencé tardivement…

Pratiquement, il faut revoir systématiquement le patient goutteux après la crise, muni d’un bilan biologique (NFSpl, CRP, uricémie, créatininémie, transaminases) et lui proposer le traitement de fond. Ce dernier (allopurinol en 1° intention) est administré sous couvert d’une prise de colchicine (1/2cp/j) pendant 6 mois afin de prévenir une rechute et doit l’être à dose faible, fonction de la clairance de la créatinine, et augmenter progressivement jusqu’à l’obtention d’une uricémie à 360 ou mieux 300 umol/l, seuil au-dessous duquel les accès finissent par s’éteindre après un à 2 ans de normo-uricémie.

La crise disparaissant, un malade non revu ne consultera pas, se sentant guéri…Or, l’institution rapide d’un traitement de fond pourrait limiter le nombre de malades non traités et les conséquences tardives de l’abstention.

  • 5 – Quand commencer l’hypo-uricémiant devant une crise de goutte ?

Les dispositions françaises militaient pour ne pas l’entreprendre avant 6 semaines à 3 mois après la crise jusqu’aux récentes recommandations qui restent cependant floues sur la date de son institution par rapport à la crise. Ces conseils thérapeutiques étaient liés à la crainte de voir la crise se prolonger ou se renouveler…or ce risque reste présent lorsque l’hypouricémiant est commencé tardivement…

 La date de l’institution du traitement de fond est imprécise dans l’ensemble des recommandations.

Dans cette situation, nous avons obtenu un PHRC afin de répondre à cette question. Il s’agit d’une étude pratique de vrai vie : 2 groupes de patients gouteux sans hypouricémiant sont créés par tirage au sort : le 1° group prend un comprimé de fébuxostat dans les 5 jours suivant l’établissement du diagnostic, le 2° groupe prendra le même traitement 6 semaines après la crise de goutte. Nous analyserons la tolérance et l’adhérence du traitement, son impact sur la crise de goutte. Le recrutement est en cours.

N’hésitez pas à nous adresser des patients dans la situation d’un malade atteint d’un accès goutteux en l’absence d’hypo-uricémiant afin qu’il soit inclus dans le protocole.

Dr Didier ALCAIX, rhumatologue GHH

Contact : 06 72 97 06 33 – didier.alcaix@ch-havre.fr


Bibliographie

Kuo CF, grange MI, Zhang  et coll. : » Global epidemiology of gout » Nat rev rhum., 2015, 11 :649-662

T.Pascart et coll ;: «  Recommandations de la Société française de Rhumatologie  pour la prise en charge de la goutte » rev. Rhum. ; 2020, 80 :332-341

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