Poursuivons la galerie des médecins célèbres de cette période faste de la médecine française
Avec BROUSSAIS et LAENNEC, ce sont deux figures connues de cette époque post révolutionnaire, dont on va aborder les biographies. Ces deux personnalités donnent l’exemple de la renaissance de la médecine après le chaos provoqué par la fermeture des facultés de médecine et la suppression des corporations qui permettaient l’exercice médical à tout citoyen « intéressé » par cette profession !
En mars 1791, les décrets de l’Assemblée Législative autorisaient, en effet, le libre exercice de la médecine, comme d’ailleurs toute profession qui vous plaisait. Douce utopie !
En aout 1792, l’Assemblée supprimait universités, facultés et associations savantes. En 1793, c’est la Convention qui renouvelle ces suppressions. Le charlatanisme et les dangers furent tels que les propositions conjuguées de CABANIS, PINEL, GUILLOTIN et FOURCROY permirent de corriger ces aberrations et de rétablir les écoles de santé à partir de 1794, évitant une catastrophe sanitaire pour l’époque.
Les carrières de BROUSSAIS et LAENNEC furent remarquables. Leur formation avait souffert de cette période tourmentée et néfaste pour l’activité culturelle et intellectuelle, puisque BROUSSAIS n’avait que 20 ans en pleine Terreur (1792) et LAENNEC, 20 ans en 1801, à peine quelques années après la restauration d’un enseignement médical en France digne des objectifs de notre profession : soigner et prévenir si possible dans le domaine de l’hygiène publique de la société.
Dans le sillage de BICHAT, symbole de passion pour son travail, et inlassable chercheur tout au long de sa courte carrière, BROUSSAIS et LAENNEC contribuèrent après lui à l’essor de la médecine de cette époque, malgré leur opposition fréquente sur l’utilité des autopsies, indispensables à l’identification des lésions causales, et sur les théories anatomo-pathologiques émergentes de cette période, et surtout sur la nécessité d’identifier les causes des différentes pathologies, en précisant le lien entre les lésions anatomiques, tissulaires et leur traduction clinique que la sémiologie allait pourvoir décrire avec une plus grande précision.
BROUSSAIS Joseph, François, Victor – Saint-Malo, 14/12/1772 / Vitry, 17/11/1838
Médecin et chirurgien, la biographie de « L’empereur de la médecine » est surprenante à divers titres.
Son père, chirurgien naviguant, ayant mis fin à sa carrière militaire en s’installant à Pleurtuit (sur la Rance), initia son fils aux premiers rudiments de la médecine. Bon élève et ami de Chateaubriand, il étudie la médecine à Saint-Malo, puis à l’hôpital maritime de Brest avec le grade de chirurgien de 2ème classe et d’officier de santé, comme c’était habituel.
1792 – Engagement dans une unité de grenadiers, lutte contre l’insurrection vendéenne.
1793 – Témoin de la répression dans la région de Nantes, d’où il écrit à ses parents pour dénoncer les « brigands » et leurs exactions contre-révolutionnaires.
1794 – Dysenterie grave
, l1796 – L’assassinat atroce par les Chouans de ses parents, très patriotes, l’affecte profondément et le révolte.
1798 – Ambitieux, bien que marié en 1796, il part seul à Paris poursuivre les études et acquérir des titres auprès de ses maîtres, BICHAT, CABANIS, CORVISART et PINEL.
1802 – Thèse
1804 – Il s’engage dans les armées de Napoléon et participe comme médecin à la bataille d’Austerlitz en 1805 où LARREY remarque ses qualités. A cette époque, il observe beaucoup et dissèque autant que possible.
1808 – Publication du « Traité des Phlegmasies et Inflammations chroniques », en deux volumes de 600 pages chacun, où il expose en un long monologue triomphaliste ses théories.
1813 – Il met fin à sa carrière militaire et en 1814, il est engagé comme médecin adjoint à l’hôpital du Val de Grâce.
1815 – Professeur d’instruction des médecins militaires et civils.
1816 – L’ouvrage « Examen de la doctrine médicale généralement adoptée et des systèmes modernes de nosologie » exprime ses idées en 475 pages et critique d’une façon incendiaire les concepts passés de PINEL et LAENNEC, sa bête noire. La dernière édition de cet ouvrage comptait 4 volumes de 2600 pages. BROUSSAIS avait pour théorie le rôle de l’estomac accusé d’être le primum movens de toutes les maladies.
1820 – Médecin chef du Val de Grâce, où on le surnomme le Napoléon du Val de Grâce.
1831 – Professeur de pathologie et thérapeutique à la Faculté où il enseigne la médecine physiologique dont il est le fondateur. Cette période est triomphale pour lui, servi par son éloquence, son passé militaire prestigieux, ses opinions patriotiques de tribun révolutionnaire qui le rendaient populaire auprès des étudiants, « véritable guide » auprès d’eux et des correspondants étrangers, grâce à ses « Annales de la médecine physiologique » (1822), où il défendait ses théories tout au long de 26 volumes de 500 pages chacun.
Sur le plan thérapeutique, BROUSSAIS ne proposa guère d’innovation, prescrivant de manière dépassée « diète sévère » (limonade, eau de riz, gomme adragante), saignées à outrance sous la forme fréquente de sangsues et critiquées par les apothicaires (jusqu’à plusieurs dizaines de sangsues pour un même malade). En 1824, leur utilisation était telle (80 millions de sangsues) qu’il fallait les importer de Hongrie, Bohème et Turquie, en voiture équipée de sacs arrosés en permanence.
En 1832, quand étaient recommandées saignées, diète, réhydratation insuffisante, l’épidémie de choléra, avec 8000 morts, démontrait malheureusement les errances des conseils et théories de l’époque et de BROUSSAIS.
A la fin de sa carrière, il se passionna pour la Phrénologie et identifia 35 facultés repérables sur nos boîtes crâniennes humaines. Jusqu’à sa mort, il resta fidèle aux idées et valeurs patriotiques de la Révolution. Il meurt d’un cancer du rectum le 17 novembre 1838 et sa renommée populaire lui valut des funérailles grandioses.
A son sujet, quelques citations :
- « La médecine, c’est moi, le reste ne compte pas »
- Pour ces détracteurs, BROUSSAIS inspira cette dernière sentence : « Napoléon décima la France, Broussais la saigna à blanc » (Dr AREMBERG, médecin et professeur d’histoire des sciences médicales)
Pour la médecine anatomoclinique en vigueur en France, c’est à son confrère et rival T. R. M. H LAENNEC, que la prochaine rubrique sera consacrée. Connu pour son invention acoustique, même par le grand public, avec cet outil diagnostic, emblématique du médecin et si utile dans l’examen clinique. Mais pas seulement !
Dr Michel LEBRETON
Bibliographie :
La médecine à Paris du XIII au XXème siècle – Fondation Singer-Polignac
Dictionnaire historique des médecins – Michel Dupont – Ed Larousse
Histoire du diagnostic médical – R. Villey – Ed Masson