Quand, enfin, la Terreur cesse son œuvre infernale et violente instituée comme moyen dissuasif et répressif contre les ennemis de la Révolution et de la jeune République Française, la population, lassée « jusqu’à la nausée » par tant de haine aveugle, peut enfin retrouver une vie plus conforme et dénuée « d’inquiétude » quotidienne

Avec la mort de Robespierre (juillet 1794), après une année de pouvoir absolu de 1793 jusqu’à son exécution et après avoir éliminé toute opposition et oublié que la Convention et le Comité de Salut Public ne représentaient que 10% du corps électoral (électeurs citoyens masculins de plus de 21 ans exerçant un métier), le peuple retrouvait une vie quotidienne normale. Les victoires extérieures aux frontières ne justifiaient plus ni la tyrannie de la Terreur que Robespierre et son clan avaient utilisée pour supprimer toute opposition, ni, à travers des délires verbaux à la tribune de la Convention, ne justifiaient l’exécution de plus de 1 200 personnes en 14 mois à Paris.

A cette date, un nouveau système de gouvernement, le Directoire (octobre 1795), avec ses intrigues et complots, élections annulées, se met en place jusqu’à l’avènement de N. Bonaparte, avec le Consulat (décembre 1799) ; ainsi, se réalise la prophétie de Robespierre qui avait prédit, en 1791, à l’Assemblée Législative, que « si la Révolution perd la guerre, les contre-révolutionnaires l’emporteront ; si elle l’emporte, un dictateur la brisera »

La France retrouve alors, en apparence, une vie quotidienne moins agitée et moins angoissante. Au Havre Marat, cependant, les conflits avec les puissances étrangères et le blocus maritime anglais entretenaient chômage et misère.

Les acquis politiques votés en Assemblée et les décisions promulguées, inscrites dans la Constitution, permettent une organisation sociale toute différente pour le citoyen répondant ainsi aux vœux des penseurs des Lumières du XVIIIème et aux attentes populaires.

La nation française est alors jeune :

  1. 15 millions de citoyens de 20 à 64 ans
  2. 11 millions (1/3) de moins de 20 ans
  3. 3 millions de plus de 65 ans

mais, elle est lasse de la situation de guerre aux frontières et de la tension sociale permanente car la nation a énormément souffert.

L’étude démographique présente les traces de ces évènements dont le pays a été marqué à l’intérieur comme aux frontières.

C’est d’abord le poids de la Terreur avec 35 à 40 000  exécutions, 300 à 500 000 prisonniers touchant plus les classes moyennes (ouvriers, paysans avec 85% du tiers-état), que les privilégiés nobles et clergé qui concentraient la colère du peuple.

  1. Paris comptait 16% des condamnations capitales
  2. L’ouest vendéen 51%, les insurgés du sud-est 19%
  3. 60 à 120 000 citoyens fuyaient le pays chaque année
  4. Et surtout, 600 000 à 1 million de jeunes furent recrutés dans les armées

Ces éléments démographiques n’étaient pas sans importance. Dans cette période révolutionnaire, qu’ils aient été complices de la violence  comme cela a été évoqué (précédent stétho), pour certains, ou qu’ils s’en soient accommodés par peur et prudence, les médecins ne pouvaient que ressentir un soulagement face à cette sourde menace que la Terreur inspirait, même à l’honnête citoyen.

Quel corps médical pour soigner la population ?

Exposée aux habituels problèmes sanitaires, aux problèmes d’alimentation entrainant des émeutes frumentaires (au Havre en avril 1795), et aux pathologies qui sévissaient toujours. (fièvres diverses – scarlatine –  variole – infections respiratoires –  typhus –  paludisme – la gale répandue dans de nombreuses régions et non soignée – maladies vénériennes, responsables de 25% de maladies chez les soldats –  et bien sûr, les blessés revenant des champs de bataille), la population restait très vulnérable face à la maladie.

Comment faire oublier les absurdités qui consistaient à fermer les écoles et facultés de médecine (aout 1792 et 1793) et à permettre l’exercice médical à tous (mars 1791), entrainant une période d’obscurantisme médical créé par la rivalité entre tous ceux qui se revendiquaient aptes à soigner ?

La population était ainsi livrée aux mains de personnages mal formés, de charlatans non diplômés, s’improvisant médecins.

Plus généralement, l’ENSEIGNEMENT et l’INSTRUCTION PUBLIQUE furent au cœur des débats avec divers projets entre 1790 et 1792, à l’Assemblée, soutenus par des politiques ou des scientifiques comme N. Condorcet (1743/1794). Cet illustre mathématicien et philosophe rationaliste, eut une telle liberté de pensée, malgré ses convictions républicaines, qu’il s’était fait des ennemis jacobins. Accusé de trahison, il fut contraint de fuir en 1793, mais finalement arrêté en mars 1794, il se serait suicidé quelques jours plus tard pour échapper à la guillotine.

L’instruction publique comportait deux caractéristiques principales : LAICITE et GRATUITE

L’instruction publique prévoyait :

1 – Ecole primaire dans les villages / Secondaire dans les chefs lieu de district /Institut pour les bons élèves / Lycées (9) pour l’enseignement supérieur

2 – Ecoles supérieures

  • Muséum d’histoire naturelle (1793) pour les sciences de la nature (minéralogie, botanique, chimie)
  • Ecole Centrale de Travaux Publics (1794) (Monge) pour former les ingénieurs militaires, devenant plus tard l’Ecole Polytechnique
  • Conservatoire des Arts et Métiers (1794)
  • Ecole Normale pour former instituteurs et professeurs multidisciplinaires en province

 

3 – Pour la médecine, le comité de salubrité qui déplorait l’insuffisance de l’enseignement et ses conséquences sanitaires sur la population, mais également la désorganisation provoquée par la fermeture des facultés, voyait devant cette situation l’opportunité de tout réformer.

A la critique sévère et justifiée de cet enseignement, et malgré les progrès de la médecine relatés dans les livres, le projet était d’associer FORMATION THEORIQUE et APPRENTISSAGE CLINIQUE indissociables.

Ainsi fut décrétée, à la suite du discours de Fourcroy, en novembre 1794, une Refondation de l’enseignement médical avec une loi instaurant :

  • Trois écoles de santé (Paris 300 places, Montpellier 150 et Strasbourg 100) qui deviennent facultés en 1803
  • L’enseignement avec quatre principes fondamentaux :
    • Formation théorique et pratique
    • 12 professeurs à plein temps recrutés sur concours et adjoints bien rétribués
    • Fusion médecine/chirurgie préconisée par Guillotin et Vicq d’Azyr, « deux branches d’une même science » disait-on.
    • Délivrance de diplômes nationaux de docteur en médecine
  • Un recrutement avec sélection dans chaque district du meilleur élève, maitrisant les « premières sciences utiles à l’art de guérir », et présentant une bonne conduite morale et patriotique, pour aller étudier soit à Paris avec un traitement équivalent à celui des élèves de l’Ecole Centrale, ou à Montpellier et Strasbourg (où la mise en place de cette réforme fut moins enthousiaste).

A Paris, on retrouve, dès cette réorganisation, les noms illustres de professeurs comme : Corvisart, Pinel, Pelletan, Fourcroy, Baudelocque, Dubois, Cabanis, Percy, Desgenettes.

La formation était de 3 ans avec 5 examens dont 2 en latin ; pour les futurs médecins ou chirurgiens qui faisaient leur choix au terme d’un tronc commun, les études comportaient 9 cours magistraux de médecine, 3 cours pratiques de clinique avec 2 enseignants par chaire, soit 12 professeurs et 12 adjoints. Ces cours étaient complétés par :

  • Démonstration et examen clinique auprès des malades
  • Démonstration anatomique sur cadavre ou cires anatomiques, comme celles très connues de J.B. Laumonier, professeur d’anatomie et clinique à Rouen, y créant une école de cériscuplture.

Parallèlement à cette réorganisation destinée d’une part, à pallier le niveau médiocre de l’enseignement et aux besoins de médecins sur l’ensemble du territoire (surtout en provinces et milieu rural livrés aux guérisseurs et charlatans plutôt qu’à des soignants, même inégalement instruits), et d’autre part, à répondre aux besoins accrus en médecins dans les armées de la République en guerre, le statut d’officier de santé fut créé en juillet 1793.

Il correspondait à l’organisation de secours annuels aux enfants, vieillards et indigents.

Il prévoyait un corps d’officier de santé, pour soigner à domicile, gratuitement les personnes listées annuellement par l’agence de la région. Cette disposition permettait sans distinction de diplôme, docteur ou officier de santé, l’exercice médical, mais elle entraina une certaine confusion dans la population.

La formation d’officier de santé ouverte aux non-bacheliers, exigeait 5 ans auprès d’un docteur ou 4 ans dans un hôpital civil ou militaire, avec pratique et expérience clinique, conclus par un examen devant un jury départemental et plus tard devant un jury universitaire.

Leur exercice médical était limité à leur département, tous les actes n’étaient pas autorisés et une fonction hospitalière était impossible. Leur exercice se limitait ainsi aux régions et campagnes éloignées.

Leur rôle fut cependant important puisqu’ils se formaient dans les hôpitaux. Avec la levée en masse en 1793 d’une armée de 300 000 hommes (et jusqu’à 600 000 à 1 million), les hôpitaux étaient saturés et nécessitaient de nombreux médecins. Ce fut pour de nombreux étudiants en médecine la possibilité d’échapper à la conscription autoritaire de la Convention et au combat.

Dans ce corps médical, citons des officiers de santé plus ou moins célèbres qui passèrent ultérieurement leur diplôme de docteur en médecine :

  • Emile Begin (1802/1888), médecin et historien
  • Bourgery (1797/1849), anatomiste connu, élève de Laennec
  • Malgaigne (1806/1865), devenu chirurgien
  • -F. Bretonneau (1778/1862), école de santé militaire à 17 ans, officier de santé puis diplômé médecin à 36 ans, travaille à l’hôpital de Tours où il décrit la fièvre typhoïde. Il préconise la trachéotomie dans l’angine diphtérique. Il suspecte la spécificité des germes dans les maladies infectieuses.
  • Notons aussi, que Broussais, Laennec et d’autres furent d’abord officier de santé dans leur cursus médical.

Ces réussites masquent cependant l’existence de deux ordres de praticiens, les docteurs en médecine et chirurgie et les officiers de santé. D’autre part, la formation médicale entre 1792 et l’an XI (1803), période de fermeture des écoles de médecine, restait médiocre et 3 notables avec les sous-préfets d’arrondissement pouvaient attester des compétences et délivrer un diplôme d’officier de santé.

A cette époque, 743 praticiens et 165 sage-femmes furent ainsi identifiés et localisés par l’administration.

En 1803, cette organisation toute théorique devait permettre la couverture sanitaire de la nation grâce à 3 ordres de praticiens : les docteurs en médecine et chirurgie, les officiers de santé et les sage-femmes. Malgré ce plan de réorganisation, l’enseignement clinique, tel qu’il avait été envisagé restera limité ; l’école de dissection pour les chirurgiens à partir de 1797 fut peu fréquentée selon l’historien anglais Brockliss.

Avec le Consulat et l’époque napoléonienne, la France connait une restructuration inespérée de son système de santé. La Révolution Française, par des décisions surprenantes et destructrices, avait créé un séisme dans le système médical de l’ancien régime, cette situation désastreuse ne pouvait pas se résoudre autrement que par ce sursaut indispensable qui aura des prolongements au XIXème siècle avec ses illustres cliniciens et chirurgiens, Bichat, Laennec, Corvisart, Bretonneau, Pinel, Pelletan, Percy, Desgenettes et Larrey

Dr Michel LEBRETON

Bibliographie

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