Poursuivons avec R. Laennec, l’éloge des grands médecins du XIXème siècle, un des plus brillants cliniciens de l’ère anatomoclinique qui faisait entrer la médecine vers un certain modernisme et surtout une méthodologie du diagnostic clinique débarrassée des à priori, et des concepts dépassés, erronés et dangereux. La fiabilité du diagnostic devenait cliniquement moins hasardeuse.
La carrière de Laennec, à partir de 1804, fut exemplaire avec, en point d’orgue, l’invention du stéthoscope en 1816, le rendant célèbre dans toute l’Europe.
Entre 1813 et 1852, ce fut une époque de transition, où la « médecine du stéthoscope », en hommage à Laennec, succéda à la « médecine des yeux ». Médecine anatomo-clinique et séméiologie du stéthoscope permettront ainsi d’énormes progrès vers des diagnostics mieux documentés. L’hôpital devenait enfin un centre de soins, plutôt qu’un lieu d’hébergement où avait régné la bienveillance des religieuses, pour devenir un sanctuaire médical pour les cliniciens.
A cette époque, Broussais, précédemment étudié, faisait figure de réactionnaire, jacobin agressif, qui s’accrochait à son « catéchisme de la médecine physiologique » et à un certain conservatisme, avec la notion d’anticontagionnisme, ce qui débouchait sur des mesures d’hygiène superficielles et dangereuses. C’était la porte ouverte pour la suppuration des plaies et les surinfections.
Fort heureusement, des esprits éclairés apportèrent théories et méthodes nouvelles :
- Bretonneau décrivant la typhoïde et la diphtérie
- Corvisart, Dieulafoy, Desgenettes, Dubois, Baudelocque, Magendie, Claude Bernard, entre autres.
Ces postures de l’époque étaient symbolisées par leur rivalité sur les notions de contagionnisme et d’anticontagionnisme, même si Laennec fut initialement anticontagionniste.
Mais Laennec n’est pas seulement reconnu pour sa carrière comme promoteur de cette médecine anatomoclinique.
Revenons sur son parcours et une carrière remarquable.
LAENNEC René Théophile Marie Hyacinthe, Quimper – 17 février 1781 / Douarnenez – 13 aout 1826. Né dans une famille aisée de notables. Sa mère eut cinq enfants, et décéda de tuberculose en 1786. Laennec n’a alors que 6 ans et ce sont ses oncles, particulièrement Guillaume Laennec, médecin et professeur de l’Ecole de Médecine de Nantes, qui prennent en charge son éducation initiale.
1793, il assiste son oncle pendant le siège de l’armée de Vendée et y prépare la charpie.
1795, il opte pour la carrière médicale de préférence aux travaux publics
1799, après des études brillantes à Nantes, il est commis chirurgien des armées
1801, Ecole de Santé à Paris. Il a pour maître Corvisart (1755/1821), professeur à l’Hôpital de la Charité (un des meilleurs établissements de l’époque), et il adhère à la médecine anatomoclinique. Il a aussi Cabanis, Pinel, Desault pour formateurs. Il rédige deux mémoires :
- « Maladie du cœur avec ossification de la valvule mitrale »
- « Histoire des inflammations du péritoine »
Entrée à l’Ecole pratique de Médecine et, en collaboration avec Bayle, décrit le tuberculome.
Médecin suppléant des hôpitaux, il rencontre Bichat peu avant le décès de celui-ci, il rédige avec Dupuytren une « Anatomie pathologique ».
Retrouvant la foi après une période de doute spirituel, il devient membre de la Congrégation.
1803, prix de Médecine et de Chirurgie – 1804, thèse où il distingue les groupes de signes d’une maladie : ceux qui lui sont spécifiques et ceux qui sont communs avec d’autres pathologies.
Rivalité avec Dupuytren. Souffrant d’asthme (ou prémices de la tuberculose ?), il part se reposer en Bretagne.
1806, médecin à l’hôpital Necker, il y enseigne l’anatomopathologie.
Son examen au lit du malade était enseigné en latin par discrétion envers les malades.
Parasitologue, c’est un bon connaisseur des Helminthes et il identifie l’agent du Kyste Hydatique.
En cancérologie, il distingue : cancer dur ou squirrhe et cancer mou végétant /et tumeurs homologues ou hétérologues suivant qu’elles ressemblent ou non au tissu d’origine.
1809, mort d’un frère par tuberculose
1814, accroissement de sa patientèle (dont le cardinal Fesch). Il fait rassembler les malades d’origine bretonne à la Salpêtrière. A l’abdication de Napoléon, il a pour patient Chateaubriand, Mme de Staël, et il s’épuise au travail.
Influencé par ses lectures d’Hippocrate qui avait déjà décrit les bruits thoraciques (crissements, grésillements du vinaigre chauffé…), Laennec butte toutefois sur les moyens d’en améliorer l’observation qu’il recherche par l’auscultation directe, l’oreille sur le thorax.
C’était alors, à cette époque, quelques oreilles curieuses qui osaient se coller sur la poitrine des malades.
Il y avait, bien sûr, la percussion mise en place par Avenbrugger, mais celle-ci se limitait à décrire épanchement ou présence d’une masse atténuant les vibrations. Intéressé par les lois de l’acoustique, et éminent musicien (pratiquant basson, flûte, hautbois), la curiosité de Laennec se trouva aiguisée par l’observation, devenue célèbre, d’enfants jouant dans la cour du Louvre, qui comptaient les bruits transmis d’une extrémité à l’autre d’une poutre en bois. Ainsi, ce fut le déclenchement de ses recherches.
Initialement, auscultation grâce à une liasse de papier roulée en cylindre, amplifiant les bruits recherchés, puis son stéthoscope en bois de buis (1817) avec différents modèles successifs. Le premier modèle (pectoriloque) etait un cylindre en bois, à extrémité évasée ; l’outil final mesurait 30 centimètres de long, 4 de diamètre, avec une perce axiale de 6 millimètres (1816/17). Il était dévissable, avec transmission sur une seule oreille.
En deux ans, cet outil lui permit alors de construire une séméiologie acoustique, où il a décrit les sons et les bruits (crépitants, sifflements, ronchus, frottements,… en termes très précis et imagés) reliés aux lésions pathologiques retrouvées en autopsie.
Il fallait donc, avec un tel outil, observer et écouter méthodiquement, parfois longuement le thorax des malades. Son travail acharné relevait d’une telle passion qu’elle permet de se poser la question de savoir si Laennec était doué de faculté auditive relevant de l’oreille absolue, ce qui, grâce à cet accessoire encore rudimentaire, lui permettait de distinguer les intervalles de sons émis par le cœur et les poumons, et leurs caractéristiques.
Concernant cette notion d’oreille absolue, faisons une petite digression. En effet, il fallait une formidable oreille pour caractériser les sons et leurs qualités pour établir une séméiologie si précieuse pour ses confrères et les générations successives de médecins qui précisaient à leur tour, ce qu’ils percevaient lors de ces auscultations, où l’on pouvait rivaliser d’éloquence, pour décrire les impressions auditives de chacun.
Le son se caractérise par la hauteur (fréquence), le timbre, l’intensité, rythme et tempo, et courbes sonores mélodiques éventuelles.
Si Laennec possédait l’oreille absolue, elle lui permettait de distinguer plus facilement toutes ces caractéristiques et ainsi construire sa séméiologie acoustique en décrivant comme une partition musicale, les sons thoraciques perçus en les comparant de façon imagée.
Le détenteur d’une oreille absolue est, en effet, apte à étalonner tous bruits dans le spectre des fréquences sonores. C’est pour une personne possédant cet atout, la faculté d’identifier spontanément la hauteur de toute note ou simple bruit, sans référence extérieure préalable (diapason qui sert d’étalon). Cette faculté peut aussi exister mentalement en simple imagination et permettant, pour certains, d’établir, par exemple, la hauteur du moindre son. Ces personnes ont la possibilité d’identifier jusqu’à 70 notes sur plusieurs octaves dans la région moyenne du spectre auditif. Ainsi, ces personnes affirment qu’elles se mouchent en SOL, d’autres donnent la hauteur sonore du vent ou de l’horloge, d’autres encore le son de différents oiseaux ou d’insectes en vol selon la fréquence de battement de leurs ailes. A cette faculté, si étonnante et mystérieuse, s’associe également la capacité de relier sons et couleurs (SYNESTHESIE où un seul stimulus déclenche plusieurs sensations différentes. On en recense jusqu’à 150 formes de Synesthésies).
C’est grâce aux propriétés des cellules ciliées de l’organe de Corti qui permettent la discrimination fine des différentes fréquences de sons chez les détenteurs de l’oreille absolue.
Nous reviendrons en détail dans la prochaine rubrique sur cette capacité étonnante qui peut expliquer l’intérêt de Laennec pour l’étude des sons du corps humain et également éveiller notre curiosité, faculté si précieuse en musique (mais pas toujours) sur ce pouvoir qui nous étonne d’autant qu’il est peu fréquent (4 à 18% des musiciens professionnels, et 1 pour 10 000 dans la population générale).
Dans sa carrière Laennec est donc l’inventeur de l’auscultation médiate.
1816, nomination à l’hôpital Necker : intérêt pour les maladies pulmonaires
1818, Académie des Sciences
1819, Traité d’auscultation médiate avec description des différents signes acoustiques
1822, Chaire de Médecine pratique, puis titulaire de la Chaire de Clinique médicale à l’hôpital de la Charité
Laennec a également contribué à la description de la péritonite, de la cirrhose du foie. Il est à l’origine du terme de Mélanome, dès 1804 il avait brillamment étudié ces tumeurs, et il en a décrit les métastases pulmonaires.
1824, il se marie avec sa gouvernante mais gravement malade, il se retire en Bretagne où il meurt de tuberculose le 13 aout 1826.
Outre son travail remarquable et la mise au point du stéthoscope, la contribution de Laennec la plus importante dans sa carrière, repose sur la RIGUEUR à conduire l’examen clinique – « La partie essentiel de notre art consiste à pouvoir observer correctement » disait-il.
En évoquant Laennec, le professeur B. W. Richardson, dans « Les disciples d’Esculape », conseillait au médecin de lire régulièrement le Traité de Laennec sur l’utilisation de l’auscultation tant qu’il pratique son art… et affirmait sur l’œuvre de Laennec, que celui-ci se situe parmi les grands pionniers comme Vésale, Harvey, Hippocrate.
La prochaine chronique reviendra sur l’impact, à Paris, du stéthoscope, attirant, à l’époque les médecins européens pour découvrir auprès de Laennec, cet outil majeur pour le diagnostic clinique. Au Havre, et chez les médecins de province, quelle fut la place de cet instrument nouveau et comment a-t-il évolué au fil du temps.
Quant à cette notion d’oreille absolue, voire relative, quelques précisions viendront nous interroger sur le rôle que cette faculté auditive a pu avoir sur l’invention de Laennec. La question restera posée. Avait-il l’oreille absolue pour distinguer tous ces bruits ?
Dr Michel Lebreton
Bibliographie :
- Dictionnaire historique des médecins, Michel Dupont, Ed Larousse
- Hygiène et médecine, JM Galmiche, Ed L. Pariente
- La médecine à Paris du XIII au XXème siècle, Fondation Singer Polignac
- Musicophilia, la musique, le cerveau et nous, Oliver Sacks, Ed le Seuil
- Un pouls dans la tête, chronique de la médecine d’hier et d’aujourd’hui, Marc Magro, médecin, Ed First Histoire.