Enoncer ces prénoms, c’est, pour la médecine française, évoquer les médecins connus de cette époque, et le titre de cette rubrique annonce avant tout, les biographies de ces cliniciens illustres, formés à l a fin du XVIIIème siècle et au cours de la période révolutionnaire, malmenés pour certains, par les républicains, et de toute façon dans une France chaotique comme nous l’avons souligné dans les précédentes chroniques.

Tous se sont impliqués pour faire évoluer la médecine de leur pays, la France, et l’art du diagnostic médical, et la projeter vers une médecine éminemment clinique et rationnelle, peu à peu débarrassée du dogmatisme qui sévissait encore jusque-là.

Avant tout, une médecine Anatomoclinique avec une recherche des causes grâce à l’anatomopathologie naissante, et à la vérification par l’autopsie des lésions suspectées.

Qui étaient donc ces médecins aux mystérieux prénoms ?

La liste de ces personnalités est longue, mais limitons la aux plus célèbres :

BICHAT – LAENNEC – BROUSSAIS -CORVISART – BRETONNEAU

Grâce à un travail acharné de leur part, animés par la passion, et parfois motivés par des rivalités qui décuplaient leur ardeur, ils allaient amener la médecine et l’art du diagnostic à un niveau rationnel jusque là jamais atteint. Ils ont ainsi contribué au progrès et au succès de la médecine française, lui apportant la renommée pour cette période.

Au premier tiers du XIXème siècle, Paris devenait le haut lieu de la médecine anatomoclinique en Europe.

Débutons ces portraits par le plus emblématique d’entre eux.

BICHAT Marie François Xavier (1771 Thoirette(Jura)/1802 Paris)

Sa biographie pourrait se résumer aux hommages unanimes qui lui furent rendus pendant et à l’issue de sa courte carrière.

De Corvisart à Schopenhauer qui l’ont célébré comme le génie de son époque. Son nom est inscrit avec 72 savants à la Tour Eiffel ; son effigie figure au Panthéon ; Hôpital et Université portent son nom ; il fut honoré par le premier Consul en 1802 qui « ordonna un marbre à l’Hôtel-Dieu où étaient célébrés DESAULT et BICHAT unissant le maître et son disciple. 

Au Havre, seule une modeste rue porte le nom de cet illustre médecin.

Pourquoi tant d’éloges ? « L’empreinte de son génie »

Dès sa jeunesse, il accompagne son père dans ses visites autour de Nantua ;  premier de classe ; plus tard, à Lyon, où il termine la philosophie ; ensuite, étudiant en médecine de 1791 à 1793, dans le service de M.A. PETIT, à Lyon, avec ses premières leçons d’anatomie et chirurgie ; chirurgien surnuméraire, il sert dans l’armée des Alpes.

1794, études médicales à Paris auprès du Pr. P.J. DESAULT à une époque où la fureur révolutionnaire est à son comble, ce qui faisait déclarer par BICHAT qu’à cette période « tout talent était suspect ».

1795, il aide son maître DESAULT dans ses travaux, remarqué par un brillant exposé, sa carrière est lancée. Service de chirurgie externe à l’Hôtel-Dieu où il devient l’assistant et l’ami de DESAULT ; il reçoit les malades du professeur en consultation, l’aide dans ses recherches sur les sutures – les anévrysmes – l’étude de la circulation collatérale après ligature progressive de vaisseaux.

1799, il abandonne la chirurgie pour se consacrer à la physiologie et rédige en 1800 et 1801 : « Traité sur les membranes », et « Une anatomie générale appliquée à la médecine et à la physiologie ».

Travailleur acharné et infatigable, avec un rythme effréné de publications, donnant des cours privés d’anatomie, de médecine opératoire et de physiologie.

1800, médecin chef à l’Hôtel-Dieu à l’âge de 29 ans. L’hôpital et les malades l’occupaient le matin, les cours comme professeur, l’après-midi, et dissection le soir avec rédaction de ses travaux la nuit.

Dans les pas de J.B. MORGAGNI (1682/1771), père de l’anatomopathologie avec ses remarquables descriptions (entre autres « Sièges et causes des maladies recherchées par la dissection »), qui pratiquait l’autopsie avec constance pour établir le lien entre signes cliniques et lésions anatomiques, F.X. BICHAT était lui aussi, partisan de l’autopsie systématique qu’il pratiquait avec méthode.

« Ouvrez quelques cadavres, vous verrez aussitôt disparaitre l’obscurité que la seule observation n’avait pas dissipée ! » (1801)

Avec lui, l’autopsie n’est plus une savante description passive des organes, et parfois un spectacle plus ou moins malsain et payant, comme on le voyait à certaines époques en France et en Angleterre, au XVIème siècle où l’autopsie était devenue un véritable théâtre anatomique avant de tomber peu à peu au XVIIIème siècle dans un désintérêt brutal du public.

Pour sa part, dans l’année 1801, BICHAT réalisa jusqu’à 600 autopsies, se procurant les corps avec la complicité des gardiens de cimetière St Roch, en particulier. Celles-ci lui permettaient l’analyse de la structure et de la fonction des différents tissus du corps dans lequel il distinguait jusqu’à 21 tissus (muqueux, séreux, osseux, conjonctif, musculaire, nerveux, etc…) Il détaille, par exemple, dans la Cardite : péricardite, myocardite et endocardite ;

Il distingue tissu cancéreux pathologique et tissu normal malgré une utilisation limitée du microscope dont il se méfiait.

Sa vision de la vie, dans son approche physiologique, « Considérations sur la vie et la mort », se résume à deux éléments principaux :

  1. La Vie végétative dépendant du système cérébro-spinal qui gère la motricité, la coordination et la pensée, avec différents organes symétriques et reliés entre eux
  2. La Vie organique sous l’influence du sympathique qui commande divers organes périphériques plutôt indépendants

Il reconnait trois organes essentiels : cœur, cerveau et poumons, dont on connait l’importance dans la lutte entre vie et mort.

Concernant la thérapeutique, BICHAT est plus circonspect en décrivant les pratiques de son époque, comme un remède comportant un « ensemble informe d’idées inexactes, d’observations puériles et de moyens illusoires »

En 1802, harassé par un travail titanesque et d’innombrables publications, il tombe malade à la suite d’une chute dans un escalier de l’Hôtel-Dieu, présente une perte de connaissance le 7 juillet 1802. Soigné par CORVISART, son ami, son état de santé décline et il meurt le 22 juillet 1802, à 31 ans, à la suite de souffrances, avec céphalées, troubles intestinaux, somnolence et troubles ataxiques qui ont suggéré diverses hypothèses :

  • Suites et complications de la chute
  • Fièvre typhoïde après piqûre anatomique lors d’une dissection
  • Evolution d’une méningite tuberculeuse, puisqu’on retrouve dans les antécédents un épisode d’hémoptysie qu’il avait eu en 1799.

F.X. BICHAT fut donc ce génie célébré par tous.

Médecin et anatomopathologiste, vitaliste avec le célèbre ouvrage « Recherche physiologique sur la vie et la mort » (1800), son inlassable activité lui a permis de rénover l’anatomie générale (descriptive), l’anatomie tissulaire (l’histologie) et de promouvoir l’anatomopathologie.

N’avait-il pas débuté sa carrière dès son enfance avec la dissection de chats pour en étudier l’anatomie ?

En conclusion, ces deux derniers éloges résument son influence sur la médecine de l’époque et ses contemporains consternés par sa disparition prématurée :

Henri MONDOR : « L’œuvre de BICHAT est une pierre angulaire puissante qui a permis d’édifier la médecine moderne »

Gustave FLAUBERT : « La grande école médicale française est sortie du tablier de BICHAT »

Dr M. LEBRETON


Bibliographie

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