La page de la Révolution française, abondamment déclinée lors des dernières chroniques, est enfin terminée. L’apaisement nécessaire a été peu à peu ressenti par la population française, psychologiquement agressée par ces événements successifs et par la Terreur régnant depuis 1789 et surtout 1793

Ce fut dans ces rubriques l’occasion de décrire et étudier quels furent le chaos, la passion, la tourmente et la violence caractérisant cette période si importante de l’histoire de France. Cette fin de siècle était le prolongement des changements politiques prévisibles et souhaités par les penseurs et philosophes du siècle des Lumières.

Nous allons à nouveau aborder, sur le plan sanitaire qui guide ces chroniques, l’évolution de la pensée médicale et « la révolution » qui allait émerger à partir du XIXème siècle, grâce à des personnalités remarquables dont les noms nous sont si familiers.

Parmi eux, certains occupent une place particulière en raison de leur contribution au progrès médical.  En un quart de siècle, de la Révolution française jusqu’au déclin de l’ère napoléonienne (Napoléon meurt en 1821), la médecine va profondément évoluer et devenir une médecine nouvelle, voire intellectuellement moderne.

Dans les numéros antérieurs (cf Stéthos N°45 de mars 2023 et 46 d’avril 2023) nous avions souligné les progrès déjà permis par les propositions qui s’étaient imposées avec l’Anatomo-Pathologie de MORGAGNI, et également par les classifications nosologiques proposées par SAUVAGES, CULLEN, PINEL, permettant l’individualisation des maladies. Ainsi, après le XVIIIème siècle et l’Anatomo-Pathologie, ce sera le XIXème et la médecine Anatomo-Clinique des grands cliniciens français.

En effet, après la Révolution française et son ambiance intellectuelle inhibante et oppressante, et plus tard, la période napoléonienne, avec ses conquêtes territoriales et un bilan discutable, on assiste à la « Mutation de l’activité intellectuelle, avec un esprit d’émulation et l’expression prodigieusement rapide des idées ». Dans cette période fertile, émergent alors les grands cliniciens que furent en France :

  • BICHAT, CORVISART, LAENNEC, BROUSSAIS, mais aussi BRETONNEAU, CABANIS, PINEL, principaux pionniers de cette médecine nouvelle,
  • et en chirurgie, les élèves formés et influencés par « le brillant et génial DESAULT » qui fut le maitre de deux des gloires de la médecine française : BICHAT et CORVISART

DESAULT avait une position politique plutôt modérée et, pour certains il avait été un républicain vite désenchanté. Son décès brutal en quelques jours, en 1795, avait alors fait courir l’idée d’un empoisonnement pour ne pas avoir partagé les vues criminelles des comités révolutionnaires.

  • En chirurgie, il faut encore mentionner LARREY et PERCY et d’autres moins connus. Pour eux, médecine et chirurgie militaires, sur les champs de bataille, ont permis de très importants progrès avec des techniques opératoires efficaces où la dextérité et la vitesse d’exécution des opérateurs étaient primordiales.

Voilà le « programme » des prochaines rubriques : Biographies surprenantes et instructives de ces personnalités –  Evolution de l’hygiène médicale dans les hôpitaux où les conditions de soins étaient souvent déplorables, laissant le champs libre à la contagion, aux complications infectieuses telles que la « pourriture hospitalière des plaies », la gangrène, le tétanos, la tuberculose (encore non identifiée), et bien d’autres risques sanitaires.

Nous pouvons comprendre, à travers les biographies de ces personnalités célèbres de la médecine, à quel point une révolution s’est également produite en médecine, avec la Refondation de l’enseignement médical, avec l’émergence de nouvelles conceptions du diagnostic médical, de l’examen médical, de la recherche des causes, d’étiologies vérifiées à grâce aux autopsies de plus en plus pratiquées, même si de nombreuses incertitudes persistaient en raison de l’ignorance du vaste monde des bactéries, microbes et virus.

La présomption de leur existence par certains, comme J. FRACASTORE (1483/1553) avec ses « animalcules infectieux », dès le XVIème siècle pour la syphilis et la suspicion de la contagion dans la tuberculose, était restée lettre morte jusqu’aux travaux ultérieurs en bactériologie.

On ignorait ainsi la notion de contagion, préférant encore la théorie des miasmes et de l’air vicié.

Dans ce domaine, persistait le débat illustré par la thèse de l’ANTICONTAGIONISME. Face à la notion de Fièvre Hospitalière, ennemi redoutable dans les hôpitaux, pour les blessés et opérés, et à ce qu’on désignait également par le terme effrayant de « pourriture d’hôpital », les oppositions étaient vives entre les Hygiénistes novateurs et les partisans de l’Anticontagionisme.

Fléau impitoyable dans les hôpitaux, cet ennemi invisible était négligé par les médecins civils contrairement aux médecins et chirurgiens militaires qui avaient déjà suspecté ce problème.

L’absence de concertation entre ces deux positions théoriques avait malheureusement retardé la lutte contre ce problème. Ceci est encore illustré par les rivalités entre :

  • BROUSSAIS – LAENNEC – BOUILLAUD – BAYLE – MAGENDIE (qui niait l’intérêt de la quarantaine dans les épidémies, notion sur laquelle N. DESGENETTES, médecin chef dans les armées, ironisait lors de l’épidémie de peste en Egypte où « beaucoup de médecins sont morts avec les malades avec lesquels ils s’étaient enfermés pour éviter la contagion »). Ceux-ci menaient un combat d’arrière-garde en persistant à accepter la notion de génération spontanée et en méprisant les idées nouvelles des partisans de l’hygiénisme convaincus de la notion de contagion, à savoir :
  • VELPEAU – CHERVIN -PARISET, mais aussi BRETONNEAU (raillé parce que provincial ?) – HAHNEMAN (parce qu’homéopathe) – RASPAIL (parce que chimiste, écrivain) – A. MOREAU DE JONNES (1778/1871 – promoteur de l’hygiénisme, raillé parce que militaire, géologue et promoteur des statistiques en France, et enfin, non médecin)

Enfin, le célèbre DUPUYTREN qui refusait d’opérer en période d’épidémie et PERCY, qui étaient convaincus des phénomènes de contagion.

LARREY craignait l’infection des plaies opératoires et recommandait l’amputation précoce des blessures graves pour éviter toute contagion des plaies délabrées, amputant cuisse ou jambe en quelques minutes.

Nous comprenons, à quel point l’émulation, voire les rivalités entre ces personnalités médicales, allaient favoriser le progrès dans de nombreux domaines médicaux et chirurgicaux. Ce seront les thèmes des prochaines chroniques de cette histoire de la médecine en France et au Havre qui n’échappait pas aux mêmes difficultés, comme cela a déjà été évoqué à différentes reprises et lors des chroniques concernant les épidémies de choléra au Havre (cf Stétho N°19 de sept 2020, N° 20 d’oct 2020).

Avec le XIXème siècle débute une formidable métamorphose de l’activité médico-chirurgicale avec d’innombrables découvertes et innovations thérapeutiques.

Dr Michel LEBRETON


Bibliographie

  • Histoire du diagnostic médical – R. VILLEY – ed Masson
  • Dictionnaire historique des médecins – M. DUPONT – ed Larousse
  • Hygiène et médecine – histoire et actualités des maladies nosocomiales – JM GALMICHE -Ed Louis Pariente
  • La médecine à Paris du XIII au XXème siècle – Fondation Singer Polignac
  • Regards sur 4 siècles de vie hospitalière au Havre – Philippe MANNEVILLE
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