1789/1800
Continuons d’explorer cette décennie si mouvementée de la fin du XVIIIème, en évitant la caricature de cette page de l’histoire de France. Dans ces rubriques concernant la médecine et nos confrères de cette période, on doit tenter de comprendre pourquoi l’Esprit des Lumières n’a pu empêcher un bilan humain aussi dramatique avec des milliers de victimes.
Certes une colère populaire, légitime et grandissante contre une monarchie et une noblesse peu à l’écoute du peuple ; bien sûr des esprits rebelles, passionnés et prêts à tout pour construire une nouvelle société, mais aussi des personnalités complexes, violentes ou haineuses, avec convictions implacables, et q sans scrupule pour faire triompher leurs idées, quel qu’en soit le prix.
Comme le titre de cette chronique le suggère, le système de santé en France va alors traverser une période des plus chaotiques et affronter les conséquences de décisions invraisemblables dans ce domaine. Aussi bien pour l’époque, que maintenant, le jugement que nous pouvons porter sur les conséquences que ces décisions eurent en France sur le système de santé déjà fragile, est très sévère.
Quel regard sur la médecine de cette période ? Comment la population française considérait les médecins et le corps médical dans cette fin de siècle ? Comment était composé le corps médical en France ? Quels sentiments animaient la population envers les médecins ? et de quelle confiance bénéficiaient-ils ?
Il faut tout d’abord distinguer les médecins des villes, les grandes et particulièrement Paris, des médecins de province et ruraux, proches du peuple, moins savants et sans prestige.
A Paris, 530 000 hab. en 1700, on recensait 235 médecins en 1715 ; 466 pour 650 000 hab. en 1789.
Sous Louis XV (1710/1774), on estimait à 30 ou 40 000 barbiers et chirurgiens dans le royaume, avec des qualifications très disparates (de simples pratiquants de la saignée et de la petite chirurgie, jusqu’aux opérateurs de la taille, et chirurgiens gradés dans les hôpitaux de grandes villes).
A la veille de la Révolution, on en recensait jusqu’à 45 000, mais ce chiffre englobait un nombre important de guérisseurs, charlatans, contre lesquels le corps médical et les facultés voulaient lutter et s’en préserver.
En province, entre 1780 et 1785, on comptait 2 000 chirurgiens de différents grades pour 500 localités réparties sur l’ensemble de la France. Les rapports pour l’ensemble du royaume étaient d’environ : un barbier chirurgien pour 1 000 hab., un médecin pour 10 000 hab., en considérant qu’il existait de nombreux charlatans s’improvisant barbiers chirurgiens !!!
Contraste saisissant avec la densité médicale au XXIème siècle.
La communauté chirurgicale était un groupe très hétérogène, supervisé par le 1er chirurgien du roi depuis Paris.
En Normandie, on comptait 20 communautés de chirurgiens exerçant dans des villes de moins de 4 000 hab.
Il existait 3 groupes de chirurgiens, comme nous le verront au sujet de leur formation :
- Chirurgien officiel diplômé et reconnu (grandes villes et hôpitaux)
- Barbier chirurgien de grade inférieur (surtout dans les campagnes)
- Charlatan, pseudo chirurgien, souvent usurpateur de diplôme
Ainsi, en milieu rural, moins bien loti, retrouvait-on les chirurgiens dont l’activité se limitait à la saignée ordonnée par le médecin, à l’incision d’abcès d’accès anatomique simple, au nettoyage et détersion des plaies infectées, à l’ablation de petites tumeurs superficielles, réduction de fracture non compliquée, et leur apportait des revenus modestes et une vie précaire. Cela d’autant que les médecins parisiens ou provinciaux, connus ou modestes, avaient vu chuter les honoraires (les aristocrates bon payeurs avaient été condamnés, emprisonnés ou ruinés – la classe moyenne appauvrie payait mal et était contrainte de payer en nature).
Composition du corps médical de cette période
On retrouvait 3 groupes : médecins, barbiers chirurgiens et apothicaires. La rivalité entre médecins et leurs confrères chirurgiens restait tenace.
- Les médecins, praticiens dogmatiques aux connaissances encore imparfaites et pour certains très sommaires, trop souvent encore peu efficaces dans le domaine thérapeutique, compte-tenu de l’ignorance du monde si vaste des microbes.
- De l’autre côté, les confrères chirurgiens, aux résultats quelquefois spectaculaires, aux yeux de la population, lorsque des situations extrêmes autorisaient des tentatives désespérées, sous une analgésie sommaire, et parfois couronnées de succès, marquant les esprits et faisant progresser les techniques opératoires grâce à des praticiens rapides, habiles et novateurs.
Pour ses confrères, le Dr SAUCEROTTE, en 1887, portait un jugement sévère, peut-être même injuste, estimant leur contribution sans consistance, au débat parlementaire dans les assemblées, et leurs convictions politiques peu affirmées. A l’inverse, TENON, LEVASSEUR (qui fit preuve d’un activisme révolutionnaire parfois violent), BOUESTARD de la TOUCHE, GALLOT, BLIN, BO (promoteur de réformes hospitalières et sociales, mais impitoyable révolutionnaire) semblaient être considérés, pour lui, comme dignes de leur statut de médecins cultivés.
Quant aux apothicaires, ils avaient su se préserver de la concurrence des droguistes, maîtres épiciers, parfumeurs, voire confiseurs qui allaient jusqu’à composer des sirops médicinaux. Leurs études étaient réglementées par plusieurs années, d’abord théoriques puis en pharmacie, sanctionnées par le diplôme d’une école de pharmacie ou un jury.
Au moment de la révolution, les moqueries et sarcasmes de MOLIERE résonnaient encore. Ses critiques résument la considération et l’opinion populaire sur les compétences et attitudes des médecins face aux maladies et épidémies. La place du médecin est, certes, au chevet des malades, mais un certain nombre avaient d’autres activités (dans le droit – dans les professions commerciales, agricoles), mais sans se hasarder en politique. On peut ainsi citer quelques exemples : Le Dr BOUESTARD, chirurgien accoucheur, mais aussi fabricant de toiles imprimées industrielles – Le Dr HARDY de Rouen, chimiste. En campagne, de nombreux « chirurgiens » pouvaient être aubergiste, cultivateur…
Si le sentiment de la population envers les médecins reste mitigé, on leur reproche souvent leur « incompétence, masquée par un intérêt de circonstance du praticien regardant sur son lit, le malade, lui tenant le poignet et lui prenant le pouls ». C’est le Dr J.C. ADRIEN HELVETIUS (1685/1755) qui résume ainsi cette situation « La médecine fut meurtrière dans les siècles d’ignorance ou de superstition ». Pour toutes ces raisons, les médecins souhaitaient une réforme des études souvent coûteuses, socialement sélectives, jusqu’à cette période pré-révolutionnaire. Nos confrères aspiraient à une meilleure formation, seule capable d’apporter à la population, côtoyée chaque jour, une amélioration de sa santé, de l’hygiène hospitalière décriée par TENON, LAVOISIER et d’autres, et enfin une amélioration des conditions sanitaires du peuple et des villes.
Les cahiers de doléances constituaient autant un état des lieux de la société française qu’un échappatoire pour le pouvoir en difficulté. Ces cahiers laissaient espérer de vraies réformes qui calmeraient la colère du peuple. Pour les médecins, leurs doléances étaient de plusieurs ordres.
- Retenons d’abord que les médecins dans leur ensemble, conscients des problèmes de la population, ont pris une part importante dans la rédaction de ces cahiers.
- Sur l’ensemble du royaume, l’observation des maladies courantes, épidémies et problèmes touchant le petit peuple sur fond de misère, leur permettait de proposer des remèdes à cette situation.
Cependant, la principale revendication concernait l’enseignement et le parcours semé d’obstacles de leur formation. Une réforme des études pouvait assurer par effet domino une amélioration de nombreux problèmes, santé du peuple, carences de la médecine qui devait améliorer son efficacité.
Revenons sur le cursus des médecins à cette époque
Les formations étaient disparates, sclérosées, avec un coût les rendant inaccessible aux plus modestes.
Depuis 1770, l’enseignement était règlementé par l’Edit de Marly, mais en réalité durée et contenus des programmes pouvaient être variables d’une fac à l’autre.
Outre les deux grandes facultés, Paris, Montpellier, on en comptait 7 autres comme Valence et Bourges qui étaient sur le déclin, ou vivotaient (Bordeaux, Aix, Besançon), et 4 restaient plus importantes (Strasbourg, Reims, Caen et Douai disparue depuis)
Quel était le tronc commun obligatoire ?
Les conditions étaient les suivantes :
- Etudiant certifié d’une maitrise es-art
- 4 ans d’enseignement avec examen donnant accès au grade de bachelier en médecine
- 2 ans ½ de cours pour la licence, achevés par 4 thèses dont 3 avec questions/réponses face à un jury et 1 thèse cardinale sur un sujet d’hygiène.
- Enfin, une dissertation médicale et la cérémonie du bonnet de docteur
Mais formation et sanction des études mécontentaient les candidats et médecins. Le savoir restait livresque malgré les recommandations de l’Edit de Marly qui demandaient plus de clinique.
La durée des études était variable et laisse apparaître un flou surprenant.
- A Paris : 3 ans, pour le baccalauréat en médecine, plus 2 ans pour la licence, permettant d’exercer. Puis, grade de Docteur pour exercer dans le cadre d’une faculté, et enfin grade de Docteur régent, pour exercer à Paris. Les droits acquittés augmentaient à chaque grade, devenant exorbitants pour le titre de Docteur régent
- A Montpellier, les études moins sclérosées duraient 3 ans avec examens pour le baccalauréat, la licence et le doctorat, bloqués à la fin.
Certaines facultés « délivraient » un diplôme moyennant finances et faisaient barrage aux étudiants diplômés dans une autre faculté.
L’enseignement restait théorique et une formation pratique avec enseignement clinique s’imposait auprès de maîtres reconnus.
Pour les formation de chirurgiens
Certaines courtes et superficielles, d’autres longues et techniques, les études s’étalaient de 6 à 10 ans.
- Au plus bas des grades, les « chirurgiens de petite expérience », les plus nombreux exerçant à la campagne, avec simple examen oral final
- « Chirurgiens de grande expérience » : après études classiques, maîtres es-art, formés chez un maître avec cours opératoires, anatomiques, dans les collèges de chirurgie de grandes villes ou à Saint Côme à Paris, puis éventuel tour de France de formation. Ces études étaient sanctionnées par un grand chef d’œuvre, examen public, véritable thèse. Ensuite, agrégés au collège des chirurgiens permettant l’exercice en hôpital.
- Les « chirurgiens navigants » pouvaient exercer en ville, après plusieurs campagnes de mer, où ils étaient amenés à pratiquer également la médecine
Malheureusement, la Révolution se mêla de tout réorganiser, permettant d’assister à un bouleversement insensé, incohérent, sans aucun fondement scientifique rationnel, totalement idéologique et invraisemblable. La Convention Nationale, dans un souci d’égalitarisme, voulut détruire les corporations qui autogéraient leur fonctionnement et se protégeaient et décréta le 17 mars 1791 que « toute personne peut exercer toute profession, art ou métier qu’elle trouve bien ».
14 juin 1791 : elle impose la disparition de toute corporation de citoyens. Disparaissaient ainsi les métiers de médecins et apothicaires.
28 août 1792 : abrogation des corporations enseignantes et fermetures des facultés
Août 1793 : la convention vote la fermeture des sociétés savantes et écoles de médecins
Solution bien plus efficace que la suppression actuelle du numerus clausus ? N’est-ce-pas ?
C’est évidemment la disparition de l’enseignement médical et on assiste, alors, à la prolifération des charlatans et usurpateurs de compétences médicales.
Les conséquences sont catastrophiques avec afflux de blessés, malades mal soignés lors des conflits révolutionnaires intérieurs (Guerres de Vendée), et extérieurs (face aux puissances voisines contre-révolutionnaires).
En 1793, la crise est telle qu’on impose un contrôle minimal des soignants par les conseils municipaux des villes, chargés de vérifier (?), mais comment ? les connaissances et compétences pratiques. Scandale sanitaire ubuesque et incompréhensible dont les conséquences seront telles qu’elles entraineront une « Refondation » à partir de 1794 dont nous détaillerons les différents éléments dans la prochaine chronique, avec un panorama des personnalités médicales de cette dernière décennie.
Dr Michel LEBRETON
Bibliographie
- L’enseignement de la Médecine sous la Révolution et l’Empire – Jean LEGAY – Histoire des sciences médicales 2014 https://www.biusante.parisdescartes.fr/sfhm/hsm/HSMx2014x048x003/HSMx2014x048x003x0397.pdf