Au terme de ces chroniques consacrées à la médecine et aux médecins en France, plongés au cœur de la Révolution, que penser de ces évènements de notre histoire ? Quel bilan et commentaires sur le déroulement de ces années particulières de la société française ?
Les difficultés à écrire et à juger objectivement cette fin de XVIIIème siècle ont été évoquées dès le premier numéro sur cette période historique. Concernant l’intérêt de l’étudier sous l’angle de la médecine et de nos confrères de l’époque, il était logique de comprendre la position de cette corporation qui connaissait les problèmes du peuple.
Deux siècles plus tard, humanistes, historiens et médecins respectueux du serment d’Hippocrate peuvent à leur tour juger sans complaisance cette Révolution, certes nécessaire pour réformer une société et un ancien régime à bout de souffle responsable des injustices sociales. Mais le bilan humain de cette Révolution est effrayant.
En effet, pour atteindre les objectifs espérés, les députés et acteurs de la Révolution sous différentes bannières politiques, au sein des assemblées successives, furent vite divisés et opposés, clan contre clan, avec la violence que l’on connait. Violence oratoire, idées contre théories, puis violence tout court ! Sans compter l’influence de la rue, de la voix du peuple, des clubs littéraires et politiques parisiens.
Au milieu de tout cela, que pouvaient nos confrères venus de leur province, avec leurs bonnes intentions ? Ne parlons pas des enragés comme BAUDOT ou COFFINHAL-DUBAIL (cf stétho 50) qui avaient oublié toute mansuétude, lucidité et considération humaine pour laisser parler leur haine et rancœur viscérales.
Au sein des assemblées, le Dr SAUCEROTTE décrit les médecins comme inexpérimentés pour les joutes politiques et peu influents dans les débats, sur leur réserve par prudence pour eux-mêmes, et donc insignifiants selon lui. On comptait alors :
- 16 médecins sur 1214 députés dans l’Assemblée Constituante (1789/1791)
- 22 médecins sur 745 députés dans l’Assemblée Législative (1791/1792)
- 39 médecins sur 749 députés dans les 3 Conventions Nationales (1792/1795)
A son poste, le Dr J.-I. GUILLOTIN (1738/1814) ne fut pas que le promoteur de l’échafaud qui, à son grand regret, porta son nom après avoir été « La Louison » du Dr A. LOUIS.
Médecin en 1770, avec une clientèle parisienne bourgeoise et noble – 1772 : fondateur du Grand Orient de France – Représentant du Tiers Etat en 1789 aux Etats Généraux.
Dès l’ouverture des assemblées, il dénonça l’air malsain, vicié, « pestilentiel » des salles qui accueillaient jusqu’à 3 000 personnes lors de séances de 12 à 14 heures, provoquant fièvre, migraine, ophtalmie rebelle, fausse pneumonie fatale à quelques-uns. Il eut le souci de la santé des députés siégeant à Versailles et Paris dans cet air méphitique et dénonça l’hygiène sanitaire inappropriée des latrines pour une telle assistance.
Mais surtout, il s’insurge contre les conditions d’exécution capitale selon la classe sociale et fait la proposition de l’échafaud, mode égalitaire de sanctionner les condamnés nobles, bourgeois ou simples citoyens. La guillotine concentra, alors, l’attention de quelques personnalités politiques de l’époque. Avec le Dr A. LOUIS (1723/1792), chirurgien, ils étudient « médicalement » ce concept déjà connu (dans l’antiquité, aux 1ers siècles de l’ère Romaine, plus tard chez les anglo-saxons avec l’Halifax gibet et la Maiden et enfin, la Mannaîa en Italie).
Avec le fabriquant Tobias SCHMIDT (facteur de piano à Paris), ils mettent au point ce mode rapide (avec au plus fort de la Terreur, jusqu’à 31 minutes pour exécuter 21 girondins en 1793 et 45 minutes pour 62 autres condamnés), sans les bavures d’un bourreau maladroit, répondant à la loi de décembre 1789, souhaitée par les humanistes du XVIIIème pour donner « une mort douce ». Cette loi était accompagnée de mesures protégeant les familles des condamnés.
L’exécution avec lame oblique tranchante entrainait une syncope et une « coupe rapide et nette ».
Le Dr GUILLOTIN, envoyé plus tard dans l’armée du Nord, exerça sa mission de médecin et constate que l’usage de ce « rasoir national » est effrayant. Il meurt en 1814 en reniant cette invention qui n’était pas la sienne et sans avoir jamais assisté à une exécution pendant la Révolution.
Si la guillotine est pour certains une machine démocratique à tuer pour les tribunaux révolutionnaires de la Terreur en 1792, en Europe, elle était considérée comme le symbole de la barbarie et de la terreur en France. Pour d’autres, c’est un instrument politique d’épuration et régénération sociale selon les révolutionnaires.
SEDILLOT (membre de l’Académie de Chirurgie) décrit en l’an IV « ce progrès égalitaire et peu violent comme effrayant avec tous ces condamnés mutilés, sans tête, entassés dans des charrettes sous les cris de barbares ivres de joie et de rancœur contre ces coupables », mais pour certains, de quelle faute impardonnable ?
Bilan humain de la Terreur
Ce climat social fut une arme psychologique redoutable, répressive et vengeresse, comme le montrent diverses publications. Le bilan est en effet impressionnant.
Au fil du temps, différentes évaluations ont été faites pour la France qui comptait 28 millions d’habitants en 1789.
La Révolution et la Terreur ont fait :
- Terreur (1792/1794) : 40 000 morts en France
- La Révolution globalement aurait fait de 600 à 800 000 morts avec les conflits militaires extérieurs contre les puissances étrangères.
Evaluation au XIXème siècle : 14 807 condamnés à mort par les tribunaux révolutionnaires
Evaluation au XXème siècle (1935) : un historien américain GREER dénombre 16 594 à 17 000 jugés exécutés, plus 10 à 12 000 exécutés sans jugement
Evaluation en 1996 : l’historien J.-C. MARTIN indique que ce bilan concerne principalement les villes
En 2007 : l’évaluation confirme le bilan de 35 000 à 40 000 morts entre 1793 et 1794, et 500 000 emprisonnements de durée variable.
Qui condamnait-on ? et pourquoi ?
Les catégories sociales étaient les suivantes : 31% ouvriers artisans – 28% de paysans (principalement en Vendée) – 25% de bourgeois – 8,5% d’aristocrates et 6,5% de prêtres et religieux.
Les chefs d’accusation étaient les suivants, dans des conditions fallacieuses et diffamatoires :
- Trahison, rébellion : 80%
- Fédéralisme : 10%
- Délit d’opinion : 9%
- Fraudes et motifs économiques : 1%
Sur le territoire, on recense
- A Paris, 2 639 sentences de mort ;
- En Loire inférieure, 3 548 morts, avec les exécutions sommaires dans les prisons et les noyades à Nantes, sur la Loire, avec barques à fonds percés organisées par le funeste CARRIER.
- 18 départements comptaient plus de 100 condamnations à mort
- Seuls 6 départements ne compteront aucune exécution
Sur les 35 000 morts, 12 000 avaient été condamnés sans jugement avec une parodie de justice expéditive, sur simple dénonciation aux tribunaux révolutionnaires, dans 74% de régions où existaient des mouvements contre-révolutionnaires (l’ouest de la France et vallée du Rhône).
Sous le régime de la Terreur, on compte 3.5% d’exécutions entre septembre 1792 et 1793, 70% d’octobre 1793 à mai 1794, 14% de mai à juillet 1794. C’est l’exécution de ROBESPIERRE qui marquera la fin de la Terreur.
A ces chiffres impressionnants de cette véritable guerre civile, on peut ajouter les conditions faites aux victimes et aux femmes qui ne furent pas épargnées et n’ont pas bénéficié de la protection de nos confrères. En prison, les femmes qui pouvaient prouver une grossesse, profitaient d’un sursis jusqu’à la naissance ; quant à celles qui ne pouvaient pas démontrer aux médecins un état de grossesse, aucun sursis ne leur était accordé.
Comme exemple citons la situation de la Conciergerie (prison de la Terreur en 1794), avec entassement des prisonniers maltraités, soumis à des mesures inhumaines ; leur révolte fut réprimée par le geôlier concierge et les médecins attachés à la prison. Ceux-ci n’avaient qu’incompétence, saignées et tisanes pour soulager les femmes malades, à peine examinées. Sans compter sur les pseudo-contrôles de leur état de grossesse, elles étaient conduites très rapidement à l’échafaud après l’accouchement.
De son côté, FOUQUET autorisait « l’élimination du royalisme dans son germe », sans le moindre sursis. Seul un décret (septembre 1794) indiquera « qu’aucune femme ne pourra être jugée avant d’avoir été reconnue ou non enceinte ».
Parmi les femmes, quelque soit leur rang social, aucune indulgence ne leur était accordée, affrontant la violence des tribunaux révolutionnaires. Citons
- Olympe de GOUGES, figure symbolique du féminisme qui, opposée à ROBESPIERRE en s’insurgeant des massacres de septembre 1792, finit sur l’échafaud.
- Manon ROLAND (1754/1780), patriote qui vivait mal le mépris des aristocrates pour les bourgeois – membre des Jacobins et épouse d’un journaliste girondin. Cultivée, intelligente, elle animait des salons littéraires et politiques, elle fut la figure légendaire féminine de la Révolution. Malheureusement révoltée par les massacres (1300 morts à Paris en septembre 1792), ses positions déplurent, elle fut jugée et rapidement exécutée en novembre 1793, prononçant sa fameuse phrase : « O liberté, que de crimes on commet en ton nom ». Son vieux mari et son ami BUZOT se suicidèrent peu après.
Plus généralement, les prisons étaient le théâtre de drames inhumains où violences et mépris étaient de mise.
Dans ce domaine, à Nantes, on relate, en 1793 et 1794, l’épidémie ou la « maladie de l’entrepôt » touchant les rescapés de l’armée vendéenne, des enfants et femmes entassés, selon les témoignages d’officiers de santé, au milieu de cadavres non évacués, d’enfants baignant au milieu des déjections et de jeunes mères récemment accouchées sans soin, avec une mortalité de 30 à 60 personnes par jour. La contagion gagna d’autres prisons et menaça la ville de Nantes. Le typhus exanthématique fit de multiples victimes chez les gardiens et le corps de santé nantais (dont BLIN, DARBEFEUILLE, G. LAENNEC, oncle de René qui survécurent). Quand les médecins inspecteurs de la commission de salubrité préconisaient nettoyage, désinfection, J.-B. CARRIER, l’illustre bourreau nantais, proposait ses noyades dans le fleuve révolutionnaire ou des fusillades pour régler le problème à sa manière…
On voit aisément que dans des circonstances particulières, chaotiques, conflictuelles, la Révolution dans laquelle les médecins se trouvaient entrainés, offrait à certains des opportunités inattendues de carrières politiques. Dans certains cas, il y avait motif à demander des comptes sur leur comportement coupable ou douteux. Problème de conscience pour ces médecins balançant entre les valeurs de leur mission médicale, en fait leur devoir, et des considérations ou convictions personnelles comme ce médecin chirurgien se mêlant aux prévenus afin de recueillir, à la façon d’un agent secret, les preuves d’éventuels complots et des aveux sur des détenus suspects. D’autres exemples de fourberie témoignent de la duplicité honteuse de ces médecins.
Se posent donc quelques questions
- Périr ou comment réformer une société malade de façon radicale ?
- Les réformes suffisent-elles quand elles paraissent modérées et insuffisantes aux yeux de certains ? (Ce fut le cas de plusieurs réformes successives de TURGOT, chaque fois rejetées)
- Comment expliquer la neutralité et la tolérance des médecins face à la terreur sociale de 1792 à 1794 ?
- Cette page de l’histoire de France pouvait-elle se dérouler différemment en faisant l’économie du sang et de cette violence omniprésente ?
- La Révolution pouvait-elle se passer de la Terreur et éviter le piège des surenchères idéologiques ?
Les conquêtes de la Révolution et de la République sont indiscutablement bénéfiques à notre société, mais avec la guillotine comme arme symbole de la Révolution, la Terreur avait régné jusqu’à « la nausée » de certains citoyens. Elle prit fin avec les Thermidoriens et l’exécution de ROBESPIERRE (28 juillet 1794).
Comme le suggérait Victor HUGO, quelques décennies plus tard, les médecins auraient ainsi pu voir, dans la France, un corps social malade, une société injustement traitée par la monarchie, et auraient pu considérer la Révolution et sa guillotine comme un scalpel faisant ainsi de ROBESPIERRE, un DUPUYTREN politique, réalisant une amputation salutaire pour la France.
Dr Michel LEBRETON